Nox marche depuis un bon quart d'heure maintenant, ses yeux sombres balaient avec une mauvaise humeur affichée le décor qui l'entoure. Réveillé un peu plus tôt par une bestiole visqueuse complètement bleue qu'il a tôt fait de dégager d'un revers de main, il a mis quelques bonnes minutes à faire le point. Il a beau se creuser la tête, et il le fait mieux que personne, impossible de se rappeler comment il a atterri là.
La veille, il était coincé dans le quartier militaire, à la limite de se faire enfermer, et puis... Nox soupire et secoue la tête. Depuis son premier réveil, tout cela se répète quotidiennement. Cette instabilité inexpliquée cumulée à son amnésie partielle, ça fait beaucoup de choses, même pour lui. Il n'arrive pas à bien réfléchir puisqu'il se retrouve constamment dans des situations improbables, souvent dangereuses et toujours inexplicables. Sans compter qu'à chaque fois, il doit passer outre sa misanthropie pour dialoguer avec les gens qu'il rencontre, et à chaque fois cela ne mène à rien puisqu'il se réveille ailleurs et ne les revoit jamais. Ce n'est pas le confort qui lui manque. Pas le confort matériel, tout du moins. Plutôt une sorte de confort psychologique. Nox a l'habitude de tout contrôler, de tout prévoir. Or là, il ne maîtrise rien. Absolument rien. Et ça, ça l'énerve. Il n'est déjà pas forcément très aimable de base, mais cette histoire n'arrange rien.
C'est donc d'une humeur tellement massacrante qu'elle en devenait presque effrayante que Nox s'est levé et a commencé à marcher au hasard. Tout ce bleu.. c'est tout bonnement insupportable. Il a presque envie de marcher à l'aveugle, juste pour soulager ses yeux agressés. Mais au moment où il s'apprête à s'exécuter, il lui semble apercevoir une couleur détonnant avec le décor environnant. Il se rapproche, plissant les yeux. C'est bien ça, du rose. Une jeune fille avec de très longs cheveux roses en train de se coiffer tranquillement. Ce n'est qu'une fois son opération finie qu'elle se met à regarder autour d'elle. Apparemment pas une autochtone. Elle a vraiment l'air d'une poupée et l'arrière-plan bleu et blanc ne fait rien contre cette impression.
Pour l'instant elle ne l'a pas vu. Nox hésite. Certes il est perdu, mais est-ce une raison pour fraterniser avec le premier venu ? S'il peut s'éviter du blabla inutile avec une miss coquette, c'est toujours ça de gagné. D'autant que celle-ci n'a pas l'air de savoir plus que lui où elle se trouve.
Sans même prendre la peine de se dissimuler, il s'apprête à passer son chemin pour se diriger vers un genre de colline, espérant ainsi avoir une vision plus globale de l'endroit, quand une silhouette apparaît dans son champ de vision, se rapprochant de la rose. Nox se fige alors pour observer, curieux.

 

 

 

Nox observe, silencieux. La silhouette n'est pas menaçante. D'une démarche prudente, elle s'approche de la rose et les échos de sa voix hésitante lui parviennent, traversant la dizaine de mètre qui les sépare. Ils sont tous les deux perdus. Nox ne sait pas si ça le rassure ou non. Quoi qu'il en soit, ces deux-là n'ont pas l'air dangereux mais bien effrayés. Mmh.

Il allait reprendre son chemin mais son regard rencontre alors celui du nouveau venu. Chose anodine. Mais le blondinet semble se calmer, un tant soit peu, à ce contact. Bizarre. D'ordinaire les gens n'aiment pas le regarder dans les yeux. Peut-être est-ce à cause du mépris qu'ils y lisent, ou parce qu'ils se sentent analysés dans leurs moindres détails. De toute façon, la demoiselle s'est également retournée et lui fait signe d'approcher. Toute cette gentillesse ne l'inspire pas du tout, mais il obtempère, n'ayant rien de mieux à faire. Son mètre quarante-cinq, et demi, lui permet difficilement de passer entre les végétations, toutes d'un bleu uniforme. Il rejoint le petit groupe en s'époussetant légèrement et s'arrête à une distance respectable pour dévisager les deux jeunes gens, croisant les bras. La jeune fille est en train de balbutier quelques explications à propos des tâches qui ornent ses bras. Nox les observe. Il pense savoir d'où ça vient, et la présence de la concernée suite à cela lui fait revoir son jugement. Elle sourit, elle a l'air normale. Pourtant, un léger tic à peine perceptible s'agite de temps à autre sur son visage, son expression change l'espace d'un dixième de seconde, comme si elle délibérait en elle-même. Quant au garçon, il ne soutient pas son regard perçant. Il paraît vraiment très mal à l'aise, malgré ses habits haute couture et son faciès de prince. Son minois innocent contraste avec les traits de son visage, suggérant un passé relativement tumultueux. Ces deux personnes n'ont pas l'air dénué d'intérêt, ce qui est plutôt rare, surtout lorsque c'est Nox qui en juge.
Voilà donc cinq bonnes minutes qu'il les détaille, sans mot dire. On attend sans doute de lui un bonjour, ou quelque chose de typique chez les enfants, mais il n'en a pas envie. Sa mauvaise humeur risque de ne pas le quitter de la journée, et ses fréquentations en feront les frais.
Il remonte d'un geste du doigt les lunettes qui glissent sur son nez avant de recroiser les bras. Il se demande si ces gens vivent ce genre de réveil impromptu et inexpliqué pour la première fois, ou si l'expérience se répète chaque jour passé en ce monde décidément bien surprenant. Mais il préfère ne pas formuler cette interrogation à voix haute. La Reine a des oreilles partout. De plus, s'il est évident que ses deux compagnons d'infortune font partie de la haute société, rien ne lui permet d'affirmer qu'ils ne sont pas en lien direct, pire, en collaboration avec le Palais Heart. La noblesse, bien qu'il en fasse partie, lui inspire la méfiance.
Ainsi, Nox juge plus sage de ne pas parler du tout. De toute façon, chaque fois qu'il essaie de s'échapper d'un endroit ou d'en atteindre un autre, il finit par s'attirer des ennuis et par se réveiller ailleurs. Pourquoi ne se contenterait-il pas de voir ce que cette nouvelle journée a à lui faire subir ?

 

 

 

Nox les observe, ces deux grands nobles qui les dominent de leur hauteur d'adulte. C'est souvent sa petite taille et son jeune âge qui font qu'il n'est pas pris au sérieux. Dieu ce qu'il peut détester cela. C'est affligeant comme certains adultes peuvent se croire supérieurs à lui parce qu'ils ont quelques années de plus. Nox, lui, se contente de les dominer par son esprit, de les mépriser de son regard noir. Aujourd'hui, il n'est pas de bonne humeur. C'est la troisième fois qu'il se réveille de façon inexpliquée dans un endroit inconnu, et tout cela commence doucement à l'agacer. Son état ne s'améliore pas quand le blond s'accroupit à sa hauteur pour lui parler, le tutoyant avec cet air ignoblement rassurant. Il est vrai que les courtisans de la cour ont tendance à tutoyer tout le monde, mais il semble qu'il ne s'y fera jamais. Nox ne fait aucun mouvement, il ne tourne pas la tête vers la direction indiquée, se contentant de hocher lentement la tête sans quitter son interlocuteur des yeux. Ce-dernier a tôt fait de se relever tandis que la demoiselle confirme ses suspicions en affirmant ne pas s'être endormie là la veille. Il ne sait pas si cela le rassure, de savoir que d'autres personnes sont dans la même situation étrange que lui. Ces gens, et lui-même, doivent être spéciaux puisque très peu de personnes semblent être concernés, mais pourquoi eux ? comment ? Tant de questions auxquelles il ne peut répondre. Le jeune homme propose d'explorer les environs, bientôt approuvé par la rose. Nox ne dit rien, mais il ne dit pas non, ce qui est, en soi, déjà pas mal.

- Oh, et ne trouvez-vous pas qu'on ressemble à des personnages de contes de fée ? Le chevalier avec la veuve et l'orphelin ! Ou la princesse et le dauphin. Charmant tableau, n'est-ce pas ?

Et elle rit. C'est étrange. Cela fait quelques temps qu'il n'a pas entendu un son pareil. D'ordinaire il n'aime pas ça, lui qui ne rit jamais. Mais celui-ci, franc, cristallin dans la bouche de cette poupée, lui décrocherait presque un frémissement. Ses yeux s'éclairent un peu alors qu'il les tournent vers la jeune fille, mais peut-être est-ce un reflet du ciel sur ses lunettes. La demoiselle se présente. Craquelure. Peu banal, intéressant. Dommage, les présentations l'obligent à ouvrir la bouche.

- Nox.

Tout simplement. Sa voix est rauque, conséquence d'un silence trop prolongé et d'une solitude chronique. Lui n'est pas enchanté, il est parfaitement morose. Partir gambader dans ces ruelles qui lui agressent les rétines avec deux riches coquets ne lui inspire rien de bien excitant. Ce qui n'est visiblement pas le cas de Craquelure qui trépigne littéralement sur place, éclatante de bonheur. Rien de plus éloigné de ce que Nox connaît. Effectivement, quel tableau ils doivent faire. Si seulement il pouvait au moins regagner son chez lui... Quoique rien ne l'attende là-bas, si ce n'est sa meilleure amie la Solitude. Enfin, cette journée aura peut-être au moins le mérite de lui apporter quelque réponse, puisque le divertissement lui est aussi lointain que l'intelligence l'est à la Reine Heart.

 

 

 

Nox écoute parler ses compagnons. Le blond se présente et propose de trouver un endroit en hauteur, ce qu'il comptait lui-même faire avant d'apercevoir la demoiselle. Il hoche donc brièvement la tête pour marquer son accord. Cela dit, la constatation ne se fait pas attendre : la ville ne regorge pas de bâtiments surélevés. Mais il va bien falloir commencer quelque part.
L'idée d'une carte n'est pas mauvaise, mais personne n'est équipé ici, et puis ce n'est pas comme s'ils avaient vraiment une chance de sortir d'ici. La dénommée Craquelure choisit une ruelle au hasard et se met en route d'un pas joyeux. Nox étouffe un profond soupir de lassitude en son for intérieur et marche à sa suite. Tout ce bleu ne l'aide pas et lui fait plisser les yeux. Sa mauvaise humeur s'accroit encore plus, si c'est possible. Autour d'eux, tous les bâtiments se ressemblent et il n'y a pas l'ombre d'une âme qui vive dans les environs. Pourquoi y a-t-il une ville s'il n'y a personne ? Où sont ses habitants ? Tous ces détails invitent à la méfiance et les yeux de Nox s'agitent derrière le verre de ses lunettes, à la recherche du plus infime des indices. Ses compagnons se sont tus et seuls les bruits de leur pas résonnent dans un silence à couper au couteau.
C'est alors qu'il la voit. Cette petite sphère doré qui flotte en l'air au milieu de la rue. Elle semble les appeler. Peut-être est-ce dans sa tête ? Elle les invite à la suivre. Elle est belle, cette petite boule. On a envie de la prendre et de sentir son contact entre ses doigts... Nox secoue la tête et enlève ses lunettes. Cette chose essaie de les charmer, comme le ferait une sirène au milieu des océans. Qui sait si elle n'est pas responsable de la disparition des habitants ? Pour autant, Nox ne s'arrête pas de marcher. Après tout, cette sphère est leur seul indice, il faut savoir où elle veut les mener.

- Méfiez-vous, c'est probablement un piège, articule-t-il à voix basse.

Un regard de chaque côté lui apprend que ses compagnons ont également vu la sphère et l'observent fixement. Espérant que ceux-ci ne soit pas hypnotisés par le chant de la sphère, il répète sa mise en garde. Si c'était le cas, il n'hésiterait pas à les abandonner à leur sort mais, tant que faire se peut, autant les garder en vie le plus longtemps possible, ils pourraient être utiles.