Aiguille se massa les tempes, visiblement fatiguée. La dame au tricot avait passé presque une semaine à courir dans tous les sens, à affronter plein de dangers, à se retrouver dans toutes les situations possibles inimaginables. Être amnésique ? Rencontrer une étrange gouvernante ? Se promener dans les souterrains du palais avec cette dite gouvernante ? Atterrir dans le centre de recherche ? Se balader avec une Heart et une fille pédante ? Assister à une EXPLOSION ? Elle devait avoir un destin maudit. Après l'explosion, tout était flou, mais Aiguille se rappelle vaguement s'être enfuie dans la cohue, essayant de rentrer le plus rapidement chez elle. Elle avait ensuite brûlé la lettre d'invitation d'Anémone, pour éviter qu'on la prenne pour une alliée des Heart. Et, après une bonne nuit de sommeil, elle s'était assise sur son lit pour réfléchir, pour la dixième fois, aux événements récents, aux personnes rencontrées... Aux souvenirs réapparus, aussi. Des bribes de mémoires étaient revenues, dont une où elle était enfant, une autre où elle parlait avec Soarta... Et tous semblaient intimement liés à la famille royale. Aiguille se questionnait sur ses occupations passées. Voilà qu'elle avait peur d'être de mèche avec les Heart...

Son esprit assembla les morceaux du puzzle. La carte qu'elle avait trouvée dans le centre de recherche, avec le bateau au drapeau bleu ciel, aperçu dans les îles volantes. "Reine demande recherche !". Ce devait être le bateau de ceux qui ont désormais repris le pouvoir. Des révolutionnaires, sûrement. Et maintenant la Reine n'était plus là. C'était évident que quelque chose du genre se tramait depuis longtemps. Aiguille tortilla une de ses boucles rose bonbon. La ville bleue devait être leur repaire. Peut-être. Maintenant que le mystère du bateau était résolu, qu'allait-il se passer ensuite ?

L'oiseau qu'elle avait ramené d'une de ses aventures piailla. La main de la jeune femme passa rapidement entre ses oreilles de félins, pensive. Que pourrait-elle faire de sa journée ? Elle pourrait profiter d'être tranquille, pour une fois, et se promener dans le quartier. Les gens semblaient l'aimer, rester enfermée durant des jours tâcherait sa réputation. "Tatie Aiguille", les gosses allaient l'appeler. Qu'elle détestait ce surnom ! 35 ans, 35 ans... Ce n'est pas vieux. Elle s'intéressait aux trucs de jeunes, aussi ! D'ailleurs, elle avait pas mal de potins à raconter à ses amies. Enfin, celles qui semblait être ses amies.

Tandis qu'elle était plongée dans ses pensées, ses mains, incapables de rester tranquilles, avaient automatiquement saisi ses aiguilles à tricoter, et elle se retrouvait maintenant avec un gilet jaune tout mignon. Son talent en tricot faisait presque peur à Aiguille. Elle avait même machinalement cousu les boutons couleur chocolat, et ajouter sur le col de jolies broderies dans la même teinte. Et tout ça en l'espace de quoi, à peine deux heures... La matinée commençait à être bien avancée, et Aiguille décida vraiment de faire quelque chose de sa journée. Elle avait même un petit gilet tout prêt pour sortir ! Elle enfila juste une robe violette à la jupe vaporeuse par dessus de fins jupons blancs, puis ceintura sa taille avec une sorte de ruban marron, comme les boutons de son gilet. La trentenaire attacha ses longs et épais cheveux en une grosse natte sur le côté, mis en place son serre-tête préféré sur son crâne, et décida qu'elle était prête. Aiguille quitta sa chambre en évitant les divers vêtements et objets qui jonchaient le sol, sans ranger les pelotes utilisées, comme à son habitude.

Sortie de sa chambre, Aiguille se dirigea vers le centre ville, et passa un agréable matin, papotant avec toutes les personnes qui passaient. Elle s'apprêtait à rentrer chez elle, quand elle sentit une sorte de présence qui la suivait. Au début, elle ne fit pas attention. Mais elle commença à avoir peur : et si c'était un de ces révolutionnaires, qui voulait l'enfermer en prison ? Ah, elle regrettait de ne pas avoir pris ses aiguilles. Encore que, poignarder quelqu'un n'aurait pas été une bonne solution. Pour éviter de paraître suspicieuse, elle n'accéléra pas beaucoup le pas, mais profita du premier tournant pour échapper à la vue de celui qui la suivait. Après quelques détours, elle rejoignit sa chambre. Elle jeta un regard derrière elle ; elle avait semé son poursuivant. Avec un soupir de soulagement, elle rentra chez elle.

Aiguille décida de prendre un petit repas pour se remettre de ses émotions. Mais arrivée au dessert, la porte de sa chambre s'ouvrit brusquement. La jeune femme sursauta et manqua de tomber à la renverse, son oiseau piailla comme jamais, et l'inconnu parla. Celui-ci semblait... Exotique, et dans d'autres circonstances, Aiguille aurait été ravie de lui poser plein de questions, mais pour le moment, elle se maudissait pour ne pas avoir entendu toquer, ou pour avoir oublié de verrouiller la porte. L'individu n'avait pas l'air hostile, mais Aiguille haussa un sourcil à l'évocation de la "charmante enfant" qu'elle était. Ce n'était peut être pas un révolutionnaire, mais simplement un type louche. La femme aux cheveux roses attrapa ses aiguilles, au cas où elle aurait besoin de recourir à la légitime défense.

« Que voulez-vous ? Ce n'est pas très poli d'entrer chez une jeune fille sans y être invité ! »

Et puis Aiguille espéra que personne n'avait vu le type entrer chez elle, elle n'avait pas envie d'entendre d'étranges rumeurs courir à propos d'elle. L'inconnu n'était pas désagréable à regarder : malgré des vêtements simples, il avait de longs cheveux noirs, et un... Je-ne-sais quoi d'exotisme, comme elle l'avait remarqué avant. Aiguille ne se laissa pas distraire. Je n'ai pas envie qu'il me tue dans ma chambre, s'il y avait plus de témoins, je serais sûre d'être plus en sécurité.

« Mon cher monsieur, avant qu'on ne continue les présentations, et la discussion, pourrons-nous le faire dehors ? Je n'ai pas envie... D'avoir des rumeurs selon quoi je laisserais entrer de beaux jeunes hommes chez moi, je connais bien mes consœurs du quartier, elles se feraient un plaisir de raconter des bêtises. »

Elle attrapa l'homme par le bras fermement, et quand ils furent à l'extérieur, Aiguille trouva un coin pour que les gens puissent les remarquer si jamais il tentait une approche agressive envers elle, mais en même temps assez tranquille pour ne pas avoir des oreilles curieuses écouter leur conversation. Aiguille lança un regard appuyé à l'homme, le priant de continuer, et de tout lui dire.

Spoiler:

Aiguille avait donc entraîné le jeune homme dans la ruelle, sans attendre qu'il ait fini sa phrase qu'il avait commencé. Il ne résista pas, ce qui avait facilité les choses. Encore que, Aiguille se sentait plus forte ces jours-ci. Tous les souvenirs qui lui revenaient en mémoire, l'envie de vengeance qu'elle avait dû avoir dans le passé, semblaient la changer. Elle n'était plus très sûre d'être totalement innocente. Elle ne savait pas comment interpréter ces bribes de mémoire ; de plus, certaines, comme celle de sa colère, apparaissaient plutôt soudainement. Avant d'être entrée dans cette ruelle, elle ne l'avait pas, c'était sûr.

La jeune femme préféra se concentrer sur le problème qui se trouvait au bout de ses bras. Le garçon avait l'air gêné. Et mal à l'aise. Pas l'attitude la plus naturelle... Peut-être qu'Aiguille lui faisait peur. Elle passa ses doigts dans sa poche, touchant délicatement les aiguilles spéciales avec le petit flacon de poison bien fermé. Oui, il avait de quoi avoir peur. Mais bon, elle n'était pas méchante, elle n'allait pas le tuer tout de même. Elle n'était pas comme la Reine... d'après ce qu'elle avait entendu à son sujet, cette souveraine se moquait presque de la vie ds gens. Aiguille n'était pas comme elle, elle était aimée de son quartier, elle était la gentille dame qui tricotait. Alors elle allait retirer sa main de sa poche et écouter tranquillement l'homme en face d'elle.

Mais un peu dur de lui faire confiance, quand il avoua avoir voulu suivre une jeune fille. Elle était tombée sur qui, un pervers ?

« Vous savez que ça vous rend encore PLUS louche de dire ça ? Pourquoi diable suivez-vous des jeunes filles ? »

Le type exotique, qui apparemment s'appelait Curry, lui tendit une main moite avec quelques misérables excuses. Aiguille fronça les sourcils devant tant de gêne. Et devant un essai de flatterie devant son tricot, qui fit presque son effet.

« Oulà, vous êtes sûr d'aller bien là ? Vous me semblez vraiment... très nerveux. Bien... Curry, je peux vous pardonner. Mais, » et Aiguille, avec une main sur sa hanche, pointa un doigt accusateur à Curry, et abaissa sa voix, « est-ce que vous aurez un lien avec la reine, par hasard... ? Je n'ai pas envie de me faire prendre par ces gens bleus, je ne suis qu'une honnête femme vous savez... »

Une honnête femme qui n'avait vraiment pas envie de se faire enfermer au château, là où se trouvait toute la brochette des Heart. Elle sentait bien que le jeune homme voulait juste passer du bon temps avec quelqu'un, et Aiguille ne serait pas contre, mais dans d'autres circonstances. La femme aux cheveux roses réalisa que ce n'était vraiment pas le bon moment pour quelqu'un sans souvenirs complets pour continuer à vivre avec insouciance. Oui, elle n'avait pas le temps pour une petite discussion, le plus important était de retrouver sa mémoire. Et elle n'avait pas non plus le temps de rester avec quelqu'un qui n'avait rien à voir là dedans. Il fallait qu'elle retrouve les autres amnésiques, du genre... Algue, Noa, ou encore Soarta qui semblait être liée à Aiguille. Et à la Reine. Zut, pour avoir une chance de retrouver des indices sur son passé, le mieux était d'aller au château. Château extrêmement bien gardé. Et château où elle s'était déjà infiltrée une fois, et ce n'était pas du gâteau.

« Je suis vraiment désolée, mais je n'ai pas vraiment le temps pour discuter. Je... j'ai vraiment besoin de retrouver quelque chose, et je ne sais pas par où commencer la recherche. »

Et elle commença à s'éloigner. A part le palais, où pourrait-elle aller ? Elle avait retrouvé sa mémoire près du fleuve noir. Peut-être, dans un autre endroit tordu... Oui ! c'était la solution. Et ce type étrange, là, allait l'aider. Aiguille se sentait plus à l'aise si elle n'était pas seule. Elle se retourna vivement, et demanda à Curry :

« Tu as vraiment envie de te faire pardonner ? Alors emmène-moi dans l'endroit le plus étrange que tu connaisses ! Enfin pas trop dangereux non plus. Tu seras mon escorte. Alors ? »

Plus, grand sourire. La dernière fois, c'était Soarta qui avait protégé Aiguille. Maintenant, ce sera à elle de protéger son guide avec son arme... spéciale. Parfait. Et il allait accepter, en même temps... Ce Curry n'avait pas tellement le choix.

HRP: