Aiguille avait bien l'impression que la fille ailée n'avait pas tout à fait conscience de ce qui lui poussait dans le dos. La jeune femme se demanda comment on pouvait oublier un tel "détail", sachant que celui-ci était assez visible, et aimait laisser ses marques en laissant des plumes. Aiguille ressentait une sorte d'incrédulité venue d'ailleurs, une partie d'elle n'était pas très surprise et l'autre, se demandait comment quelqu'un pouvait avoir des ailes. 

Cette jeune ange s'appelait Noa. Tandis que celle-ci nouait ses ailes pour ne pas qu'elles la gênent, Aiguille décida que se présenter était bien utile, pour que la fille aux cheveux roses ne soit pas trop perdue avec leur nom. Mais Noa était déjà partie prendre la blouse, semant toujours ses plumes, car même si ses ailes étaient attachées, les plumes s'en donnaient à coeur joie pour s'en aller. Aller. Heureusement que personne n'entendait les pensées... Encore que,pensa Aiguille, il n'y a personne dans cette salle. À moins que sous le drap se cache un scientifique venu dormir pour sa pause. Cette pensée l'a fit doucement rire, un petit rire inaudible pour les deux autres jeunes filles. 

Quand Noa revint, elle était équipée de sa blouse, trop grande pour elle, et qui recouvrait ses ailes angéliques. Malheureusement, les plumes tombaient encore et toujours. Aiguille en remarqua une à ses pieds, qu'elle prit et mit dans ses cheveux. Ceux-ci avait une masse tellement importante que la jeune femme pouvait aisément cacher toute sortes de choses... Un peu comme Mary Poppins et son sac sans fond. D'ailleurs, qui était-elle, cette Mary Poppins ? 

Tandis qu'Aiguille bougeait des feuilles sur les bureaux, Noa posa une question. Que voulait dire tout ceci ? Aiguille ne répondit pas ; elle n'en savait rien elle-même. Elle se demandait si avant, elle le savait. Sachant qu'elle avait trouvé son nom dans le registre des hauts-gradés... Cette pensée lui déplut. La Reine était un personnage odieux, l'idée de la servir la répugnait. 

Aiguille, pour oublier son train de pensées, fouilla les bureaux sans trouver quelque chose de vraiment intéressant, à part toutes sortes de documents avec des formules chimiques ou des calculs. Mais Algue l'appela. La trentenaire s'approcha, observant le plan que la fille bleue tenait à la main. C'était un plan de bateau, un bateau volant, qui semblait avoir été aperçu dans les îles volantes et que la Reine recherchait. Pourquoi ? C'était des sortes de... pirates des cieux ? 

« En plus d’une Reine qui nous banni des mots, d’une humaine avec des ailes dans le dos, d’humanoïde demi-poisson, il y a des bateaux volants ici? J’ai peut-être tout oublié, mais je ne pense pas que tout ceci est vraiment normal ! »

Aiguille tilta sur le "humanoïde demi-poisson". Où avait-elle vu ceci ? Il lui semblait pourtant qu'Algue venait à peine de se réveiller. Mais dans l'ensemble, Aiguille était d'accord avec Algue. Quoique, une partie d'elle sembla lui souffler : "Ici, rien n'est impossible..." 

Aiguille regarda pensivement la lettre A qui se trouvait encore sur son poignet, souvenir de la veille, quand elle avait découvert un deuxième souvenir. Puis, elle remonta la manche de sa blouse pour couvrir le A. Elle ne voulait pas être distraite.

La jeune femme redonna le plan à sa camarade, puis continua à fouiller les bureaux. Elle avait mémorisé le plan du bateau, au cas où il serait utile un jour. De toute façon, ce n'était pas comme si sa mémoire était encombrée, à peine deux souvenirs et deux journées passées, elle avait la place dans son esprit pour qu'elle se rappelle clairement des couleurs, comme le pourpre des voiles. Et surtout, le drapeau bleu ciel avec un nuage transpercé. Aiguille sourit. Comme c'était ironique, "nuage" avait été un mot interdit. Un bateau de rebelles ? Ce serait le plus plausible. 

Complètement perdue dans ses raisonnements, elle ne vit pas la feuille qui tomba d'un des bureaux, et quand elle se décala pour observer le bureau suivant, son pied dérapa sur le papier. 

« Ah !! »

Heureusement, elle tomba sur les fesses et elle n'avait rien eu de cassé. Elle leva sa main droite, qui tenait un drap. Un drap. 

« Mais que... ? »

Pendant sa chute, la main s'était agrippée au drap, un réflexe. Aiguille se tourna lentement pour voir ce que se cachait sous ce drap. Celui-ci recouvrait aussi ses cheveux et son dos, Aiguille était totalement protégée de la vue d'une personne s'il y avait un scientifique sous se drap. Pitié, qu'il n'y ait pas de scientifique sous le drap.

« Deux gardiens sont devant 2 portes. L’une mène chez la Reine Heart, et l’autre dans la salle des souvenirs. L’un des gardiens est un menteur et l’autre ne dit que la vérité. Mais on aimerait bien savoir quelle porte mène aux souvenirs. Pour cela, on ne peut poser qu'une question, quelle est-elle ? »

« Elles ont trouvées, elles ont trouvées ! »

Aiguille tourna la tête. Sous le drap se trouvaient trois petites bêtes volantes, qui sortirent de leur prison dorée dès qu'elle s'écrasa à terre. D'une main la jeune femme dégagea le drap qui recouvrait son dos puis se leva. Aiguille se méfiait des animaux aux étranges oreilles de félin, allaient-ils dénoncer les trois filles en lançant un signal d'alerte ?

Mais ce qui sortit de leur bec fut une énigme. Aiguille était prise au dépourvue, et n'arrivait pas à se concentrer sur la réponse. Deux portes, deux gardiens... La trentenaire devait avouer qu'elle n'était pas très bonne pour ce genre de choses. Le tricot lui réussissait mieux. Aiguille se demanda si elles allaient pouvoir trouver la réponse, Algue lui avait lancé un regard et la femme aux cheveux bonbons ne savait pas ce qu'il voulait dire : était-elle perdue et attendait qu'une des filles roses répondent ou connaissait-elle la réponse ? Aiguille fut fixée sur ce point : la demoiselle à la chevelure bleue proposa son idée sur la question.

Aiguille étudia son raisonnement : si on demandait à un gardien ce que l'autre désignerait si on voulait avoir la porte des souvenirs, il y avait deux possibilités. Le gardien qu'on interroge est soit celui qui ment, soit celui qui dit la vérité. S'il ment, ça veut dire que l'autre dit la vérité... Il désignerait la porte opposée aux souvenirs. Et vice-versa, puisque celui qui dit la vérité rapportera le mensonge de l'autre gardien, et désignera aussi la porte de la Reine. Ça semblait être une logique sans failles.

Les petites bêtes s'agitèrent soudain, en répétant : "elles ont trouvé !" Aiguille soupira de soulagement, et posa sa main sur l'épaule de sa camarade qui les avait amenées sur la bonne voie.

« Hé, bien joué petite ! »

Elle n'eut pas le temps de féliciter plus Algue, car des bruits se faisaient entendre dans des couloirs pas loin. Les scientifiques ont dû remarquer les bruits que faisaient les trucs volants, et la diversion d'Aiguille ne marchait plus. Celle-ci fronça les sourcils et se tourna vers les animaux agités. L'un avait même explosé. Ces bêtes pouvaient parler, et donc présentait le risque de dénoncer les trois filles. Les réflexes de survie, si elle en avait, la poussaient à agir vite.

Ses mains attrapèrent le drap, puis enfermèrent avec les oiseaux. Le tout formait un petit paquet gigotant, et étouffant les cris, mais laissait un petit trou d'air pour ne pas qu'ils meurent asphyxiés. Aiguille ne savait pas pourquoi elle les gardait en vie alors que les achever serait plus sûr, mais elle sentait que les tuer ne serait pas une bonne idée. Et puis c'était quand même mignon ce genre de petit animal...

« Ssh, calmez-vous mes petits... »

Sa voix essaya de calmer les êtres vivants qui se trouvait dans le drap. Puis, elle regarda Noa et Algue. Elle n'avait pas besoin de parler, elle était sûre que les deux avaient compris qu'il fallait se dépêcher. Fourrant les oiseaux dans sa blouse, rejoignant le plan du bateau, elle attrapa les mains de ses compagnons. Elle ne savait pas où était la sortie, mais jeta un coup d'œil aux alentours pour vérifier qu'il n'y avait personne dans le couloir avant de chercher une issue possible.

Les scientifiques cherchaient un peu partout l'origine des bruits aigus, et donc le hall d'entrée devait être moins surveillée. Les trois filles pourraient se faire passer pour des scientifiques, enfin si personne ne leur prêtait attention. Aiguille regroupa ses cheveux dans le col désactivé blouse pour être moins voyante, et encouragea les deux autres à faire pareil. Elles déambulèrent dans les couloirs, cherchant l'entrée. Dès qu'il y avait une personne, elles se débrouillaient pour entrer dans une autre pièce et avoir l'air occupées. Elles ne devaient être qu'à quelques mètres du hall, le cœur d'Aiguille battait de tant d'excitation. Les plumes de Noa étaient ramassées à la seconde même où elles étaient tombées, pour éviter de se faire repérer.

La tension était palpable dans le petit groupe, jusqu'aux derniers mètres qui les séparaient de la liberté. Arrivées dans la pièce principale, Aiguille vérifia que les animaux ne s'étaient pas enfuis. La présence des oiseaux la rassura un peu. Heureusement, les gens présents ne prêtaient pas beaucoup attention à elles. Ils étaient bien trop occupés à parler de leurs recherches en cours et à se concentrer sur leur propre personne pour regarder les autres. Le problème allaient être les gardes qui semblait vérifier si chaque personne avait un badge pour accéder au centre de recherche. Et ce n'était pas le moment d'être trop téméraire, elles étaient loin d'être seules et malgré le fait qu'elles ne se soient toujours pas fait remarquer, si elles tentaient de courir elles allaient direct finir en prison. Et si elles restaient trop longtemps à attendre une bonne occasion de passer, ce ne serait pas bon non plus.

Dame Chance semblait être présente, car il y avait de l'agitation du côté des gardes. Une personne semblait vouloir passer sans son badge, et les soldats quittèrent un instant leur poste pour rattraper le fuyard qui de toute façon n'était pas allé bien loin. Mais cette occasion était unique, et Aiguille ne se fit pas prier et, toujours emmenant les filles par la main, comme si c'était ses enfants, profita pour passer. Calmement bien sûr, si elles avaient l'air louches ce serait fini d'elles.

Puis, à l'extérieur du centre, Aiguille continua à marcher jusqu'à une ruelle la plus proche. Dès qu'elles furent à l'abri des regards, la tricoteuse sembla se détendre d'un seul coup. Ça avait été une expérience vraiment exténuante, mais elles s'en étaient sorties, saines et sauves. Elle déboutonna sa blouse et sortit les petits oiseaux. Au final, elle ne savait pas vraiment quoi en faire. La jeune femme s'aperçut que Noa était déjà partie, sûrement pour rejoindre sa chambre et se reposer au plus vite. Algue et Aiguille avait donc sur les bras deux oiseaux forts particuliers.

« J'ai bien envie de prendre soin de ces animaux, mais deux ça fera trop. Je prends celle-ci et tu fais ce que tu veux de l'autre, d'accord ? »

Comme ça, chacune avait sa petite bestiole ailée. C'était un bon compromis, et puis elles pourraient garder un œil sur ces bêtes pour ne pas qu'elles en dévoilent trop sur leur petite excursion au centre de recherche. D'ailleurs, celle-ci semblait avoir duré longtemps, car le soleil se couchait. Aiguille sourit à Algue, pas un grand sourire lumineux, mais plutôt un sourire à la fois complice et soulagé.

« On a réussi à sortir vivantes de cet endroit ! Je ne sais pas vraiment qui tu es, mais je suis contente de t'avoir rencontrée. Je pense par contre que nous sommes toutes deux fatiguées, et je retourne chez moi. Bonne chance pour rentrer ! »

Aiguille savait que sa camarade d'une journée allait se débrouiller. Le pire était passé, non ? En tout cas, c'était sa pensée après avoir dit au revoir, et en rentrant chez elle.