4th day

Froid. C'est ce qui t'est venue à l'esprit, le tout premier mot. Il y a du vent, l'air est humide. Mais c'est plutôt confortable... Par contre, ce n'est pas du tout le lit de ta chambre, ah ça tu le sais. Il est pas fait de la même matière, ni de la même épaisseur. Tu roules sur le ventre. Ça chatouille vraiment les jambes. Ouvres les yeux et tu vois... De l'herbe. Bleue. Aussi bleue que le ciel. Tu cries, tu paniques, tu cherches de l'aide. C'EST QUOI CETTE CONNERIE ?!

Ce n'est pas la couleur de l'herbe normale ! Elle devrait... Elle devrait être aussi verte que celle de la dame rencontrée... Hier ? Oui, tu crois que c'était hier ! Et ça ne serait pas illogique, bien au contraire. Tu ne te souviens pas être rentrée chez toi. Remarque, tu ne te souviens pas de grand choses ces derniers temps alors tu es peut-être rentrée et on t'a kidnappée pour te mettre ici, dans l'herbe, bleue. Quel intérêt ? Aucun. Surtout pas pour quelqu'un comme toi, qui vit dans les quartiers riches et bien protégés par la garde royale.

Tu t'assieds tranquillement dans cet bout de gazon et te frotte les yeux. Encore le même genre de rêve. Ils ont commencé juste avant que tu perdes la mémoire, et ils continuent alors que tu la retrouves lentement. Hayden qu'il s'appelle, tu rêves de lui, tu ne sais pas pourquoi. Et bien qu'il soit différent, totalement ton opposé, tu sais qu'il en a bavé durant son enfance. Peut-être que toi aussi, tu as eu ça auparavant. Tu jettes un coup d’œil vers ta jambe. Ces pauvres animaux à qui ont a enlevé la peau pour te la greffer. N'y a-t-il donc aucune morale ? Pourquoi la Reine n'intervient pas ? Tu as envie de crier, de hurler ta frustration, alors tu le fais, parce que tu es seule et que tu en as besoin. Tu t'es déjà énervée devant la poupée, le garçon intelligent et le monsieur tout noir.

En parlant de poupée, tu penses à la maison géante dans laquelle tu as eu le malheur d'atterrir. Ça te fait frissonner rien de d'y repenser. Tu n'as aucune idée de comment tu as fini avec les autres filles que tu as rencontré après mais tu es bien contente au final ! Même si tu te sens un peu mal pour les deux autres qui y étaient encore... À moins qu'ils aient été transportés aussi ? Tu l'ignores même si tu es inquiète à leur sujet. Tu n'as pas vu la femme qui était là aussi, et bien qu'elle vous ait menacés, Pieux et toi (parce que tu te souviens de son nom, Frail ?), tu espères qu'elle est envie. Tu espères qu'ils soient en vie, tous les deux ! Bref ; tu as crié, tu as hurlé ta frustration. Et tu préfères que l'histoire ne se répète pas... Tu regardes aux alentours. Mince. Il y a des gens. Et des fleurs. Bleues. Et l'herbe. Bleue !

Mais tu n'as pas le temps de penser aux autres bien que ça te fasse mal de penser ça. Tu dois rentrer chez toi, tu ne vas pas rester ici éternellement ! Surtout vu ce que les gens ont pu voir de toi. Que vas-tu faire..? Une seconde d'hésitation s'immisce dans tes pensées. Cette herbe est bien plus douce que ton plancher sur le point de s'effondrer. Ici ne serait donc pas un meilleur endroit pour vivre ? Si. Certainement. Mais ton for intérieur te dit qu'il y a quelque chose d'important avec cette chambre que tu as. Sachant que même toi tu ne sais pas dans quel classe sociale tu devrais te situer, pourquoi être dans les quartiers riches ? Tu serais passée bien plus incognito ailleurs. Une légère lueur de détermination dans les yeux, tu tentes de retrouver le chemin de ta maison, aussi peu accueillante et peu chaleureuse soit-elle.

Le trajet ne se passe pas comme tu l'aurais pensé. L'endroit bleu et blanc où tu es te fait penser à là où tu étais la veille. Tu vas peut-être recroiser ces connaissances alors ! Tout est bon tant que tu connais quelqu'un. De préférence, qui habite pas loin de chez toi. Tu réfléchis durant quelques minutes. Qui connais-tu que tu pourrais croiser ici et qui habite vers chez toi... La petite princesse ! Voilà, elle serait parfaite. Tu cherches donc du regard des cheveux blonds sur un être de petite taille. C'est pourtant pas dur à trouver dans ce paysage ! Mais rien. Tu recommences une fois, tu as peut-être juste mal regardé. Tu ne la trouves pas, malheureusement. L'air apeuré, tu continues de chercher, parce qu'on ne sait jamais. Elle est sûrement dans le coin, elle n'a pas pu rentrer seule ! Cependant ce n'est pas une blondinette que tu trouves...

Mais du bleu. Mais du blanc. L'herbe, la flore en général, les murs, les toits, les gens... Tout est assorti au ciel. Tu t'en rends vraiment compte après avoir réalisé que tu n'as pas trouvé la petite. Tu as l'impression que tu es arrivée dans un livre d'aventures dans lequel tu serais l'héroïne venue accomplir sa quête. Souci, tu n'es pas une héroïne et tu n'as pas de quête à remplir. Tu te contentes de regarder les gens que tu croises, ils n'ont pas l'air méchants. Juste certains t'ont vue crier, mais ce n'est pas grave, si ? Légèrement, vraiment légèrement, rassurée, tu marches jusqu'à l'épuisement. Dormir dans l'herbe n'a rien de reposant.

Tu trouves un banc, d'une couleur qui ne te surprend même plus. Étrangement, tu t'y es habituée plutôt vite à cette ville bicolore. Tu t'y installes, reprenant ton souffle lentement, mais sûrement. Maintenant que tu es là tu risques d'explorer un peu. Comme quand tu t'es réveillée pour la première fois sans tes souvenirs. Cet endroit étrange semble assez fascinant, même pour la petite timide et craintive Frail. La différence est que tu passes peut-être un peu plus inaperçue que dans les quartiers riches... Peut-être.

4th day

Tout est bien beau, certes... Le bleu est une couleur apaisante, tu penses. Et le blanc l'adoucit. Tu es calme, parfaitement calme mais il y a certaines choses que tu ne comprends toujours pas. L'endroit ressemble vaguement, plus ou moins vaguement à là où tu as atterri la veille. Enfin, l'herbe semble être identique. Exception faite du coloris. Puis tu te demandes, si tout ça est naturel. Tu songes au fait que ce ne soit pas la ville qui soit toute bleue et blanche mais tes yeux qui ont bel et bien un souci. Si c'est ta vision qui te fait défaut ? Dans ce cas, pas de quoi s'inquiéter... Mais ça t'inquiète quand même. Ce n'est pas tous les jours qu'on voit ça. Même dans tes rêves l'herbe est verte. Donc pourquoi pas ici ?

Cette idée te trotte un moment à l'esprit. Tu penses avoir trouvé la réponse à tes questions. Jusqu'à ce qu'on t'interpelle. Tu relèves la tête et exprimes clairement un visage de surprise. Tu ne t'attendais pas à voir Pieux ici... Et il confirme que tes yeux voient normalement, tu n'as aucun déficit. Il te parle, te demandes si tu n'es pas blessée. Cela te fait doucement sourire. Tu es soulagée de croiser un visage connu alors que tu étais totalement perdue, et seule. Surtout après l'endroit où vous vous êtes rencontrés, il y a de quoi être rassuré.

« Je vais bien, merci de t'en inquiéter... Je suis contente aussi... Que tu aies survécu à cet endroit... »

Tu ne sais pas quoi dire de plus. C'est compliqué, tu n'oses pas vraiment. Mais tu sais qu'il ne te veut pas de mal et que tu peux lui faire confiance, c'est le principal. Tu te décales un peu du banc, pour lui laisser de la place s'il souhaite s'asseoir aussi. Mais à peine fais-tu ce geste que tu te lèves. Non, ce n'est pas possible. Tu regardes le jeune homme aux cheveux verts, juste une minute. Puis tu retournes la tête. Après ta rencontre de la veille, que tu viens de miraculeusement retrouver – enfin c'est lui qui t'a retrouvée... – une de tes connaissances de... l'avant veille ? Tu crois que c'est l'avant veille, passe devant toi, avec un autre homme. Tous les deux si noirs, dans cette ville qui n'en porte pas. Eux aussi, on les remarque de loin. Mais ça ne peut pas être une coïncidence. Tu attrapes la main de Pieux et tu l'emmènes les voir, déterminée. Il ne manquerait plus que tu le perdes à nouveau !

Malgré ton petit corps, tu te mets devant eux pour qu'ils s'arrêtent. Tu déglutis un peu quand même. Cet élan t'a pris d'un seul coup, comme ça peut te prendre souvent, mais ça s'arrête dans la seconde qui suit... Comme tes accès de colère. Tu regardes le monsieur en noir du quartier riche qui t'a vue t'énerver puis tu baisses les yeux. Bien sûr, tu es incapable de soutenir ça. Mais tu te souviens de lui. C'est déjà beaucoup.

« Je ne pensais pas... Que nous nous reverrions... Et euh... » Tu hésites. Que peux-tu dire de plus ? Ah oui. La base. Tu regardes vite fait les deux bruns. « Je suis Frail... Enchantée... Et le garçon avec moi c'est Pieux... »

Et tu te mets à cligner des yeux. D'abord Pieux puis ce monsieur. Tu les as vus pour la première fois... Juste après ta perte de souvenirs, et juste après que tu te sois mise à rêver de ce blandin. Tu réalises ça d'ailleurs. Pourquoi tu te souviendrais de ces rêves là et pas du reste ? Tu commences à te poser des questions, bien plus existentielles que « pourquoi la ville est bleue ? ». Sont-ils amnésiques aussi ? Tu devrais, mais comment aborder le sujet ? De longues secondes, qui te semblent être bien plus que ce qu'elles sont, défilent. Tu dois en parler. Il faut que tu leur en parles. C'est peut-être, c'est certainement, quelque chose d'important. On ne se fait pas téléporter sans se souvenir d'un endroit à l'autre. Pourtant, le jeune homme vert, tu l'as vu à la maison de poupée. Et personne n'irait là de son propre gré. Personne. Lui-même semblait heureux de trouver quelqu'un, à ce moment.

Tu réfléchis bien trop, Frail. Sois juste toi même. Ta timidité et ta peur de leur réaction à ses charmes, non ?

« Est-ce que... Vous vous êtes réveillés ici sans... »

Incapable de terminer ta phrase. Une ombre vous survole. Un bateau vous survole. Bleu lui aussi. Du moins les voiles. Tu as mis un moment avant de distinguer la couleur, éblouie par le soleil. Tu le vois, perdre de l'altitude. Mais tu n'arrives pas à estimer l'endroit où il s'est posé. Instinctivement, tu essayes d'en voir plus en bougeant un peu la tête, mais rien n'y fait. Tu resserres ta main sur celle de Pieux, prise d'une inquiétude assez grande. Vous n'êtes pas discrets en plus, tels que vous êtes. Demander des vêtements, tu n'oserais pas, et en voler, encore moins.

Après, tu as peut-être halluciné. Si c'est vraiment ça, ils doivent te prendre pour une folle. Tu te ressaisis un peu. Et, peu sûre de toi, comme à l'accoutumée, tu leur demandes ;

« Je ne suis pas la seule à l'avoir vu..? C'est quoi cet endroit... »

Ah, ça y est. Cette ville aux couleurs du ciel commence à te perturber, de la même manière qu'à ton réveil. Tu aurais peut-être du... te cacher, du début à la fin. Mais ça ne s'est pas passé comme ça. Pauvre petite...  

4th day

Tu n'as pas le temps de redire quoi que ce soit.

Pourtant, ce n'est pas comme si tu n'avais rien entendu. Le dénommé Blanc, est, tout l'inverse de son nom. Tu ne l'as pas vu souvent ou tu ne le connais pas assez pour dire que c'est aussi le cas mentalement, mais ça l'est physiquement parlant. Tu ne fais pas de remarque à ce sujet. Il ne vaut mieux pas, il pourrait le prendre mal. Mais surtout... Wound. Comme dans ton souvenir de la veille, sauf que cette fois, le nom ne sort pas de ta bouche, mais de la sienne. Tu parais en état de choc durant quelques secondes. Est-ce lui qui t'a abandonnée ? C'est difficile à croire. Si c'est vraiment le cas, il ne serait pas là, face à toi, si ? Tu aimerais lui demander, mais tu n'as pas le temps de redire quoi que ce soit.

Cette fois, c'est Pieux qui te tire ailleurs. Dans un endroit plus à l'abri des regards. Bien sûr qu'il fallait le faire, tu es parfaitement d'accord avec ça. Mais ce bateau ! Tu as l'impression d'être la seule à l'avoir vu, alors que tu sais bien qu'il n'y a pas que ton regard qui s'est porté dessus. Tes pensées sont prises par cette chose volante. Oui, chose, parce qu'un bateau ne devrait pas voler. Tu n'avais pas fait attention, mais les deux autres vous ont suivi aussi. Ce n'est pas plus mal. C'est la troisième fois que tu te retrouves dans des situations atypiques, avec des personnes qui sont aussi dans le même cas. Il vaut mieux s'entraider. C'est ce à quoi tu penses. Et Blanc te le confirme indirectement. Il dit qu'il va vous acheter des vêtements. Tu trouves ça gentil de sa part, c'est une bonne initiative et vous en avez bien besoin si vous ne voulez pas être arrêtés !

Et tu entends la phrase choc. Tu mets une main sur ta bouche et tu rougis soudainement, ne pouvant t'empêcher d'y penser. « Mon dieu, mon dieu... ». Mais tu sais, que c'est pour la bonne cause. Enfin tu crois. Si ça ne l'est pas, tu devras songer à t'inquiéter pour ta santé psychologique – bien qu'elle soit déjà bien amochée avec cette amnésie. Et fuir, peut-être. Wound reprend son acolyte. Tu crois qu'ils sont acolytes du moins. Tu te mets une claque mentale, pour te reprendre seule.

« Mais... Il a raison... C'est le plus raisonnable à faire pour l'instant. » Tu souris, d'avance à Blanc pour son achat et à Pieux pour le sacrifice de son corps en plein air. « Merci. »

Après, tu vois le troisième garçon du groupe t'inciter à le suivre. Tu hésites, un peu. Il te perturbe. Parce que tu ne sais pas s'il existe plusieurs personnes ayant son nom, sait-on jamais, ou si c'est bien lui qui t'est plus ou moins revenu en mémoire. Pourtant, tu le suis quand même. Parce que tu penses que ça pourrait empêcher le jeune homme à la chevelure verte à se changer. Enfin se dévêtir. Arrête d'y penser.

Tu jettes un coup d’œil discret aussi. La chose qui vole s'est posée plus loin. Tu n'arrives pas à voir où précisément à cause du champ de vision réduit. Wound murmure quelque chose, que tu ne comprends pas, et claque sa langue contre son palais. Sûrement pour la même raison que tu te mords la lèvre. Tout cette histoire t'angoisse, et tu essayes de le cacher, parce que tu dois être forte, même si tu sais que tu ne l'es pas. Tu songes sérieusement à ne plus dormir pour ne plus te retrouver dans des situations pareilles, et ne plus penser à ces rêves tout aussi étranges. Si tu étais insomniaque, tu ne serais peut-être pas amnésique... Mais ce ne sont que des suppositions. Ton esprit divague. Tu as encore envie de crier, mais tu évites. Il ne faut pas se faire repérer. Au lieu de ça, tu tentes, tant bien que mal, de t'adresser au brun avec qui tu es.

« Est-ce que tu arrives à voir où ils sont..? Il doit se passer un truc important là bas, on devrait aller voir quand on pourra... Mais je ne suis pas sûre que les habits suffisent... Ça se voit, qu'on n'est pas d'ici. »

Et bien, tu vois que tu peux faire de longues phrases quand tu veux. Ce n'est pas si compliqué. Il suffit d'articuler, sans parler trop fort.

Tu entends des bruits de pas, proches. Un stress supplémentaire, ton cœur bat très vite. Même si, en apparence, c'est bien sympathique et coloré comparé à la maison de poupée, l'ambiance y est tout aussi oppressante. Instinctivement, tu te retournes vers Blanc et Pieux, et tu cries, à voix basse.

« Vite, on peut pas rester là éternellement ! »

Ah tu commences à t'énerver, sans doute à cause de la pression et... Tu as oublié pourquoi tu t'étais éloignée avec Wound, non ?