Aiguille avait bien fait de reculer : déjà le monstre ignoble se débattait, semblant lutter contre une douleur incommensurable. La jeune femme s'éloigna encore plus, ne voulant pas être frappée par cette bête à l'agonie. Ses mouvements étaient étranges, et Aiguille déglutit devant le spectacle malsain de cette chose affreuse qui bougeait telle une marionnette. La main habituée à tricoter se crispa encore plus fermement sur la potion rouge pas totalement terminée. Puis les cris de douleur s'arrêtèrent brutalement : la bête n'était plus, et avait en quelque sorte fondu en un liquide noir répugnant qui s'avançait dangereusement près des trois jeunes femmes.

« Il serait préférable que l'on sorte. Tant que c'est possible. »

Aiguille acquiesça tranquillement. En fait, elle ne le montrait pas, mais elle était sous le choc. Elle avait soudainement réalisé ce qu'elle avait fait, le véritable danger qui les avait guettées, et se demanda comment diable elle avait pu rester aussi calme. C'était peut-être l'influence de cette femme de chambre, Soarta... En tout cas, elle préféra sortir de la pièce, entraînée par la princesse qui avait agrippé son bras.

La porte qui s'était rouverte fut refermée violemment par la fille Heart, qui elle avait vraiment dû être traumatisée, au vu de la précipitation de ses gestes. Ce n'était pas pourtant elle qui avait les amenées ici en premier lieu ? Même si, Aiguille devait le reconnaître, elle ne l'avait pas proposé, Aiguille y serait quand même allée. Au final, passer par cette pièce n'était pas totalement inutile et effrayant, car elles avaient gagné deux potions, de couleur rouge et bleu. Aiguille était sûre que cela leur serait utile plus tard.

Tandis que la princesse se reposait, Aiguille profita du petit moment de répit pour culpabiliser. Elle n'était pas très fière d'elle, elle venait de tuer une fillette... Peu importe comment on le voyait, même si c'était un monstre, cela restait une petite fille. C'était un peu bête de ressentir des remords alors que la petite fille en question avait, semblait-il, voulu les tuer. Mais Aiguille pensait aux enfants, dans son quartier, qui l'appelait "Tatie Aiguille", ce nom qui l'énervait, et se demandait si la gamine voulait aussi jouer, ou se sentait seule...

« Tout va bien. Je maîtrise la situation. Vous n'aurez qu'à me suivre, et tout se passera bien. »

Ah, la princesse s'était relevée, et avait aussi interrompu le train de pensées d'Aiguille. Pour en démarrer un nouveau : la princesse savait-elle vraiment où elles allaient ? Au vu de ses réactions, dans la chambre de la bête, Aiguille en doutait un peu. Sinon, pourquoi avait-elle eu si peur si elle maîtrisait la situation ? La trentenaire aurait bien aimé lui demander si elle maîtrisait réellement la situation, mais ça aurait été déplacé de dire ça à une fille de la Reine... Argh, que c'était ennuyeux de ne pas pouvoir lancer son opinion aux personnes de sang royal. Et si ce n'était pas la princesse qui s'offusquait, ce serait la fille aux cheveux violets qui ferait la peau d'Aiguille, c'était sûr.

Les trois femmes continuèrent leur marche dans le couloir. Tout au bout, des escaliers et une porte. La princesse, toujours aussi pessimiste, leur donna le choix de la direction dans laquelle elles allaient. Vous n'étiez pas censée savoir où nous allions et maîtriser la situation, princesse ? Aiguille se mordit la lèvre. Bientôt, les paroles sortiront toutes seules. Si jamais elle devait mourir dans cet endroit, ce ne serait pas dans les escaliers ni mangée par un monstre, non, elle était persuadée que ce serait sous les coup de la violette, pour avoir osé critiquer une Heart. Vu les regards dédaigneux de cette femme envers une roturière telle qu'Aiguille, celle-ci avait l'impression de faire quelque chose d'horrible à chaque fois qu'elle s'adressait à la princesse.

Aiguille concentra son attention sur les choix qui lui étaient proposés. Alors... Elle était curieuse de savoir ce qu'il y avait derrière cette porte, mais bien évidemment, c'était dangereux d'y entrer. Mais si elle jetait un coup d'œil, un petit coup d'oeil... Je vais juste entrouvrir la porte, ça ne fera rien de mal... La femme aux cheveux bonbon s'approcha délicatement de cette porte.

« Attendez ici, princesse... » tiens, elle ne connaissait même pas le nom de la princesse. Elle continua quand même « Princesse. Je vais jeter un rapide coup d'œil pour voir s'il y a un quelconque danger derrière cette porte. Et toi, hum, jeune fille... » elle ne connaissait pas non plus son nom. Et puis elle se ravisa, ce n'était certainement pas le type de personne qui aimait qu'on lui donne des ordres. « Heu... Rien. »

Ses doigts entrouvrirent délicatement la porte, puis son regard passa à travers l'entrebâillement. Son cœur battait la chamade, d'excitation ou de peur, elle ne savait pas.