L'espace d'un instant change tout. Le monde tremble, les quartiers riches disparaissent tandis que la terre engloutit le ciel. La chute semble longue, interminable. Peut-être est-ce la fin, alors que tout n'était qu'un début. Je ne regrette pas grand chose. Cette gamine que j'ai remise à sa place. C'était une bonne action. Je crois qu'elle est tombée, elle aussi. La fille blessée. Je me demande ce qu'elle a. L'oiseau. J'aurais tellement aimé en savoir plus sur cette plume... Je n'ai pas envie de mourir.

Non.

Pas encore.

Mais en fait... Je ne tombe pas. J'ouvre les yeux, je vois le sol, le ciel, le sol, le ciel... Je roule, je roule sur le sol, plutôt rapidement. Je n'arrive pas à me rattraper. Ça roule vite, trop vite. Et devant moi... Une longue route noire, vivante, bullante, clapotante. Le fleuve ! Il faut que j'arrive à m'arrêter, MAINTENANT ! Dans un élan de désespoir, je tends la main. Une racine ! Ou une branche. Enfin, quelque chose de végétal. L'autre main attrape des herbes. Je ferme les yeux... Je m'arrête.

Quand je les rouvre, tout est noir dans le fleuve. Qui est juste là, devant moi, à quelques centimètres. Prudemment, rampant vers l'arrière, je m'éloigne de cet ichor mortel. Une fois en sécurité, je m'assieds, je reprends mon souffle, je soupire... J'ai survécu à la chute.

À priori, après ça... Rien devrait m'arriver de pire. Sauf si mon karma est vraiment rassi. ... Avez-vous une idée de la signification du mot karma ? Un autre héritage de Lucas ? Tssk. Je regarde l'arbre sur lequel je me suis accroché... Une affiche. Jusqu'ici. Bien...

Le verbe aller ? Sous toutes ses formes ? Interdit ?

« De mal en pis... Ces lois sont de plus en plus restrictives... »

Ces mots m'échappent sans que je leur accorde mon attention... En espérant qu'on ne m'ait pas entendu... Parce que je ne suis plus seul... Une jeune femme et un roturier. Sûrement aussi perdus que moi...

Comme à chaque nuit, Craquelure s'était préparée pour dormir. Elle avait ainsi mit son pantalon en toile épais, des chaussures de marches, un tee-shirt près du corps pour faciliter ses mouvements, avait attaché ses cheveux en un chignon pratique et solide puis avait enfourné quelques affaires dans un sac, tel corde et grappins, plus quelque rations à grignoter. Elle avait prit ensuite couteaux de survies en guise d'ours en peluche et elle avait alors été prête pour une bonne nuit de sommeil.
Si bien que le moment de l'étrange réveil venu, elle était parée !

… Ah, si seulement...

La vérité, c'est que si la jeune femme ne se souvenait pas de son heure de couché, elle aurait sans doute préféré cette version fantaisiste à la présente.

Craquelure, la jolie poupée humaine, était en nuisette. Là s'arrêtait tout son attirail de survie. Une nuisette noire et pas transparente, qui lui assurait une certaine pudeur, certes, mais qui remontait atrocement et dévoilait ses cuisses, son buste, ses bras et une intéressante poitrine. Pas de bijoux, pas de couverture pour d'avantage la couvrir, elle avait également ses cheveux roses, détachés, qui bouclaient anarchiquement et qui, légers, s'envolaient à la moindre brise.

Elle était immobile. Elle était assise, voyait au coin de l’œil les affiches qui diffusaient la nouvelle loi, en avait prit note avec habitude, mais n'avait pas bougé. Quelque chose clochait. Clochait gravement. Elle ne se souvenait pas être partie se coucher. Elle ne se souvenait pas de sa journée d'hier. Ni de celles d'avant encore. Rien. Certaines choses lui revenaient, Craquelure, sa chevelure bouclée appréciée de la cours. Les nobles. La reine. Des images floues mais incertaine. Son visage dans le miroir alors qu'elle coiffe ses boucles. Elle ouvre la bouche, lâche un « Je suis... » puis la referme aussitôt, surprise du timbre de sa propre voix.

Elle est malade. Elle est très malade, se rend-elle compte avec un début de larme qui lui montent aux yeux. Ses mains se mettent à trembler et elle sert les dents pour ne pas les claquer. Un bruit la tire de sa torpeur et elle voit, un homme qui tombe, roule vers le fleuve. Le fleuve ! Craquelure à le réflexe de le savoir dangereux et si cet homme tombe dedans... ! Elle se relève, maladroitement, essaye d’appeler mais aucun son ne sort. Sa tentative d'aide se termine bien vite puisque l'homme se stoppe. À quelque centimètre de la rivière. Il s'est sauvé seul. Craquelure l'envie, se demandant si elle aurait été capable de la même chose. Elle s'approche, doucement, l'entends qui marmonne un truc sur les lois mais n'en prend note. Avec une pudeur polie, conservant instinctivement une certaine distance de sécurité, elle finit par prononcer :

« Allez-vous bien ? Je vous ai vu rouler... j'ai eut peur que vous tombiez dans le fleuve. »

Elle sourit timidement. Pendant un instant, Craquelure oublie sa terrible maladie et le fait que peut-être, il faudrait mieux qu'elle réfléchisse à comment agir... avant d'agir.

« Clock »

Qu’est-ce qu’il fichait là ?

« Clock »

Il ne se souvient pas.
Pourquoi était-il là, allongé de tout son long sur cette herbe ?
Comment était-il arrivé là ?

« Clock »

Des souvenirs, pas à lui, celui d’un gamin. Pourquoi un gamin ? Il ne comprenait pas. Mais ça n’avançait visiblement à rien de ne pas bouger, aucune bride de souvenir, excepté son prénom et ses pauvres finances, ne venait. Alors il s’assoit pour regarder autour de lui. Un fleuve qui ne donne pas envie de plonger. Et deux personnes. Wound se leva et s’approcha avec prudence. Il se méfiait mais dans l’absolu, se sont les seuls êtres vivants du coin. Il s’arrêta non loin du couple, juste un ou deux mètres, assez proche pour parler, assez loin pour réagir au moindre pépin.

« Allez-vous bien ? Je vous ai vu rouler... j'ai eu peur que vous tombiez dans le fleuve. »

Visiblement, la jeune femme aux soyeux cheveux roses ne connaissait pas l’homme. Ce qui veut dire que aucune des trois personnes présentes ne se connaissent. Et en ce qui concerne la jeune femme, il semble qu’elle dormait là aussi, parce qu’elle est en nuisette. Le gars, il ne sait pas, il sait juste qu’il roulait. Très utile.

Bribes de souvenirs. Lucas. Toujours toi. Dis moi qui je suis, espèce de blondinet... Pas le temps de me parler, pas le loisir... Il y a d'autres personnes, ici. La jeune femme en nuisette s'inquiète, le roturier se tait. Je ne sais rien sur eux, mais leurs regards en disent long. Cela me fait sourire. Le même regard désespéré et vide que j'avais vu sur cette femme blessée, et, même s'il me serait difficile de l'avouer, dans le reflet qu'il m'a été donné d'observer.

« Réveil difficile, n'est-ce pas ? Quand on ignore même d'où on vient... »

Une petite pause, toujours souriant, de ce sourire résigné que je ne sais que faire, je fais face à mes deux compagnons d'infortune.

« Je suis dans le même cas, rassurez-vous. Et faîtes attention de ne pas le crier sur tous les toits. »

Mon sourire disparaît alors que je me tourne vers la rivière. Pas un oiseau, blanc ou pas, ne s'y poserait pour y boire. La seule idée d'y plonger est suicidaire. Pourquoi, aucune idée, mais tout mon être me l'avait crié quand je tombais vers les eaux noires. Plus sombres que noires.

« Plus de peur que de mal... » réponds-je finalement à la damoiselle en nuisette.

Ne faîtes pas cela vous-même, je suis un cascadeur professionnel. Lucas le pense. Je n'ai absolument aucune idée de ce qu'est un cascadeur, mais soit. J'ai gagné un rôle, cette fois. Je vais devoir servir de guide pour ces jeunes gens, semble-t-il... Espérons qu'ils ne soient pas aussi sot que la gamine...

Ignorer d'où elle vient ? Craquelure fronce les sourcils et sert les dents.
Si. Elle sait d'où elle vient.
Ou plutôt, où elle devrait être à l'heure actuelle. Elle devrait être aux côtés de la reine, elle a travaillé dur pour ça. Elle se demande pourquoi.
Qu'entend-il par ''la même situation'' ? Elle brûle de lui demander -ne sait-il pas pourquoi il est là ? Ne se souvient-il de rien aussi ? A-t-il aussi des souvenirs parasites ? Est-il aussi... malade ?- mais  la jeune femme se retient, craintive des quiproquos et de potentiellement se trahir par la suite. Elle passe une main devant son visage, calant derrière son oreille les cheveux imaginaires qui auraient pu lui faire avoir sa grimace et détend ses traits. Respire.

Mais Craquelure réalise quelque chose. Quelque chose qui lui fait ouvrir grand les yeux et manquer un battement de cœur. Elle regarde autour d'elle, à l’affût, et croise le regard de l'autre homme.

« J'ai dit... » Elle chuchote, paniquée, avale sa salive « Avec de la chance, personne ne m'a entendue... ? Ou peut-être, que ce serait de la chance que l'on m'ait entendue. Je ne sais pas. »

Sa voix a prit un ton résigné. Finalement, elle secoue la tête, ses cheveux se froissent dans le mouvement et retombent sur ses épaules, désorganisés. Il faut qu'elle se ressaisisse et se calme, qu'elle ait plus confiance en elle et en ses capacités à se sortir des mauvais pas. Si elle en est capable, se dit-elle avec amertume. Elle essaiera de savoir ça quand elle sera seule. En attendant, il y a les deux bruns avec elle. Elle regarde successivement les deux hommes et leur demande d'une petite voix :

« Je veux simplement rentrer chez moi. Pourriez-vous... m'accompagner en ville ? J'ai peur de ce que je pourrais rencontrer d'ici là. Je ne veux pas plus... juste me raccompagner en ville.»

Et s'ils refusent ? Craquelure préfère ne pas y penser pour le moment. Elle improvisera au fur et à mesure.

L’homme qui avait dégringolé insinua que Wound était comme lui. Comme eux. Ne pas savoir d’où un vient. Ce n’est pas faux, il ne se souvenait pas du tout ce qu’il faisait avant qu’il ne se réveille là. Il sait juste qu’il y a ce gosse…

Et d’un seul coup, il vit les cheveux de la fille virevolté comme si elle cherchait quelqu’un, qu’elle vérifiait quelque chose. Alors machinalement, il regarda autour de lui aussi avant de voir l’affiche qui expliquait que le verbe aller était prohibé, sous n’importe quelle forme. C’était donc ça, ce qui l’avait autant paniquée.

Deux choses donc à retenir : ne pas dire « Aller » ni ce qui leur arrive. Il ne savait pas pourquoi mais il sentait qu’il ne fallait effectivement pas chercher à le faire. Lorsque la fille reprit ses esprits, elle leur demanda, à lui et à l’autre homme, de l’accompagner en ville pour qu’elle retourne chez elle.

Wound hésita un moment. Il ne la connaissait pas et il ne connaissait pas le deuxième. Mais il ne voulait pas que la conversation s’arrête. Méfiant, mais ne rechigne pas un contact humain. Et puis il pensa à quelque chose…

« Savez-vous au moins où vous habitez ? »

Parce que dans son cas, il a un peu de mal à savoir où se trouve exactement son lieu de vie.

Une petite brise se lève, le chant doucereux du vent s'infiltrant dans l'épais feuillage des bois alentour se fait entendre. Lentement, mais sûrement, une plume blanche passe devant le nez de Blanc et vient se poser sur le doux décolleté de la nuisette de Craquelure.

Message de Max ; étant donné que cela fait une dizaine de jour que nous somme sans nouvelle de Blanc et que je ne voudrais pas bloqué votre RP, j'interviens pour que vous puissiez jouer sans lui quelque tour jusqu'à son retour.

Une étrange brume épaisse et sombre s'élève du lac noir, tourbillonnant autour de Blanc, elle finit par le recouvrir totalement. Puis disparaît aussi vite qu'elle était arrivée, ne laissant à la place du jeune homme qu'un pan d'herbe calcinée.

Craquelure observe, Craquelure réfléchit, Craquelure se méfie.

Elle sait où elle habite. Elle pense qu'elle sait. Elle se demande. Sa mémoire lui renvoie des flash d'une lumière rouge et, dans sa conviction d'être proche de la Reine, elle conclut que chez elle, ce doit être le château. Elle espère. Elle espère aussi que revenu dedans, ses pas la guideront naturellement dans sa loge, qu'elle pourra agir sans être suspicieuse. Elle se demande. Est-ce qu'il la laisseront rentrer une fois qu'elle sera devant les portes ? Est-ce qu'il faudra qu'elle fasse un scandale ? Est-ce que c'est son genre de faire un scandale pour commencer ? Elle ne sait plus.

« Oui, je sais où j'habite, ne vous en faîtes pas pour ça. Pouvons nous y... se rendre en ville ? »

Elle a dit une fois le mots interdit, elle ne le dira pas deux fois. Le répéter pour faire arriver et les gardes et avoir une escorte est une idée... mais le jeu en vaut-il la chandelle ? Les gardes pourraient très bien ne pas la croire et la jeter au cachots comme une mal propre. Mais peut-elle leur confier quoi que ce soit, à ces deux là ? Leur dire que sa chambre est sans doute dans le château ? Il ne manquerait plus, dans sa malchance, qu'elle tombe sur des non-partisans et...

Et le stresse s'accumule en elle. Elle sert et crispe ses doigts les un sur les autres, tortillant de stresse une mèche de cheveux entre. La plume fut alors la légère goutte d'eau qui fit déborder le vase. Craquelure hurle, s'agite en tendant les bras, croisant les poignets et sautille sur place comme à califourchon sur un cheval pour chasser l'intruse en poussant des « hiiii » hystériques. Le point culminant de la chorégraphie arrive quand elle mouline du poignet vers le haut, toujours en sautillant sur place avec frénésie pour éloigner la plume maudite.

La danse de « dégage saleté de plume ». Ça a un autre nom. Une autre mémoire lui souffle gangnam style, mais elle ne sait pas ce que c'est, s'en est trop, ses nerfs craquent pour de bon : la rose se laisse tomber sur le sol et se met à pleurer sans grâce, d'une voix rauque et avec moult reniflement. Merde à la noblesse et à son image.

« Je. Voulais. Juste. Rentrerchezmoiiiiiiii ! »

Il lui faudra la disparition de Blanc pour couper court ses larmes. Craquelure reste là, sotte, à observer l'endroit où jadis, il y avait un homme.

« Il a disparut ! »

Ses nerfs ne tiennent plus, elle se remet à pleurer.

« Iladisparuuuuuuu !! »

Craquelure craque, Craquelure ne réfléchit plus, Craquelure se dessèche.

Cette jeune femme semblait savoir là où elle habitait. Elle a bien de la chance, parce que notre homme, même s’il sait qu’il a un chez soi, il serait bien incapable de savoir le chemin exacte pour s’y rendre. Peut-être que ses pas le guideraient jusque là bas. Ou peut-être pas.

Et puis, une danse étrange. La jeune femme semblait être effrayée par une… Plume. L’homme observa le comportement étrange avec un haussement de sourcil. Il ne comprenait pas trop pourquoi elle s’agitait autant, ni même comment faire pour la calmer.

Une brume noir sortis du lac, l’homme s’en méfia et préféra s’éloigner de quelques pas. C’était définitivement louche. Et effectivement. L’homme qui avait dévalé la pente disparu lorsque la chose disparu. Cet évènement cacha les premières larmes de la jeune femme aux yeux de Wound. Il était bien trop préoccupé par ce qu’il se passait.

Mais pas la deuxième crise.

« Iladisparuuuuuuu !! »

Analysons. Ou non, il n’y a rien à analyser. Ce truc a emporté le type sans sommation, sans trace, sans rien du tout derrière. Il ne comprenait pas. Alors il refit claquer sa langue une fois, deux fois, plusieurs fois.

L’homme s’approcha de la jeune femme, s’accroupi devant elle et lui prit ses épaules.

« Calmez-vous ! Vous pouvez vous lever ? Il vaut mieux bouger d’ici et vite. Je n’ai pas envie qu’il nous arrive la même chose. »

Wound lui prit la main et l’aida à se relever. Il fallait bouger.

Craquelure pleure encore, bien loin de se rendre compte du mouvement autour d'elle. Il faut qu'elle se calme, il faut qu'elle redevienne maître d'elle même ! Dans cet état, elle n'est ni prudente, ni mise en valeur du tout. Mais elle n'y arrive pas. Elle a beau essayer, tenter de prendre du recul pour relativiser, de grosses larmes tièdes continuent de faire la course sur ses joues. Elle ne se rend compte que de l'approche de Wound quand il s'accroupit et la prend par les épaules. Ça lui arrache un petit hoquet de surprise, ça lui coupe l'arrivée de larmes.

Ah, si, en fait, c'était ultra-facile de s'arrêter de pleurer note-t-elle.  Sa bouche se ferme d'un bruit sec, comme un petit clapet qu'on claque. Elle regarde le brun, hoche la tête compulsivement à sa remarque et tandis qu'il l'aide à se lever, elle y met aussi toute les forces qu'elle peut. Elle se ressaisit, elle se rassure, Craquelure n'est plus un boulet. Là sur ses jambes, elle tangue un peu pense à l'avancée qui ne sera pas facile avec son absence de chaussures mais son désir de s'éloigner d'ici prend le dessus. Elle regarde le garçon, sert sa main.

« Partons, s'il vous plaît. » sa voix est frêle comme celle d'une sourit.

Elle ne fait pas la fière. La noble Craquelure est pour l'instant en vacance, elle reprendra du service quand elle sera de nouveau au château. Si elle arrive au château.

Allons petits pantins, ne partez pas tout de suite, le jeu ne fait que commencer, un peu de courage voyons !

Des petits galets noirs de jais tombent du ciel et roulent aux pieds de Craquelure et Wound. D'abord une dizaine. Puis une centaine, frappant les deux jeunes gens de toutes parts. A l'endroit où les galets ont touchés leurs peaux, des tâches noirs grandes d'environs un centimètre apparaissent. Sur le bras de Wound, les hématomes forment un mot : Trouve. Sur celui de Craquelure, un autre mot : Arbre.

" Partons, s'il vous plait"

Avait-elle dit. L'homme était rassuré qu'elle se ressaisisse, il ne sait pas ce qu'il aurait fait si ses gestes avaient aggravé la situation. Alors, d'un pas décidé, il commença à avancer, la main toujours coincée dans celle de la jeune femme. Il fallait partir, et vite, avant que quelque chose leurs tombe dessus.

Mais ils n'ont pas été assez rapide... Un galet s'écrasa aux pieds du jeune homme, vite suivi par une dizaine d'autres avant que ces chûtes ressemblent a une pluie de gros grêlons noirs. L'homme essaya tant bien que mal a protéger la tête de la jeune femme au prix d'en avoir lui-même sur le crâne. Ces choses s'abattaient avec une telle force qu'il n'arrivait pas a réfléchir. Chaque galet l'assomait presque dès qu'il commençait à penser à une échappatoire. D'inquiétantes taches noires apparaissaient sur leurs peaux à chaque fois qu'un cailloux leur tombaient dessus. Alors instinctivement, l'homme entraîna sa protégée du moment sous un arbre, pour que les branches les protègent un minimum de l'assaut.

"Vous allez bien ?"

Tout deux étaient tachés comme des dalmatiens . L'homme ne savait pas ce que c'était mais les souvenirs du petit garçon lui disaient que leur peau ressemblaient à la leur. Et un message. Sur son bras. "Trouve"... Trouver quoi au juste ? L'homme se tourna de nouveau vers sa camarade et regarda sur ses bras si elle n'avait pas ce genre de message aussi.

"Excusez-moi"

Il prit le bras où il crut apercevoir quelque chose. "Arbre"...

"Trouve et Arbre ? Mais il n'y a que ça, des arbres !"

Clock. Il refit claquer sa langue, il ne comprenait pas et ces trucs qui tombaient encore l'agaçaient.

Il l'emmène vers un lendemain radieux, main dans la main, le pas vaillant vers la ville pleine de promesse !

Craquelure aurait pu trouver la scène infiniment romantique et chevaleresque si elle n'avait pas été en chemise de nuit, les cheveux peignés comme ceux d'une sorcière et pied nus. Oh, et si elle n'avait pas été la princesse névrosée qui vient tout juste de céder à une crise d'hystéro-angoisse parce qu'une plume venait de la peloter aussi, ç'aurait été parfait ! Elle concède cependant que la disparition soudaine de l'autre homme avait de quoi fragiliser ses nerfs. Mais tout de même, ça manquait de classe. Maintenant, elle trouve la pluie présente de galets noirs bien de trop, comme dans un drame au rabais sur M6 où, quand on ne sait plus quoi dire, on ajoute un élément étrange.  M6... ?

Ce n'est pas le moment de penser.

Elle court Craquelure, aussi vite que ses brindilles de jambes le lui permettent. Pas de doute, elle doit être noble et pas paysanne aux membres musclés par le labeur quotidiens. Elle voit l'homme qui la protège et fait de son mieux pour lui rendre hommage à ne pas être un boulet à traîner. Alors, ses chevilles se tordent sur le sol irrégulier, mais elle reprend juste sa course sans une plainte. Les grêlons la fouettent et si elle couine par réflexe comme une souris qu'on maltraite, elle n'en dit rien, bien consciente que l'homme prend bien pire qu'elle pour elle. Elle arrive à garder les idées claires, sans grande utilité cependant. Arrivée à l'arbre, elle secoue ses cheveux, respire profondément pour ne pas laisser ses nerfs s'emballer une fois de plus. L'homme s'inquiète, Craquelure lui offre un piètre sourire.

« Je v... me porte bien oui, c'est vous qui avez tout prit. Et... attention au mot. »

Elle lui enlève des grêlons des cheveux en tendant le bras et commence un remerciement.

« Mer... » mais se fait  examiner le bras avec une excuse. Détaillée.
C'était inconvenant. Une partie précieuse et fille en elle hurle qu'on ne fait pas ça à une jeune femme en détresse. Heureusement, c’est une partie d'elle bien plus raisonnable qui se contente de répondre, d'une voix étranglée : «Ci. Et.  Il... n'y a... pas de problème. Je crois. »

Elle regarde son bras à son tour et lit. Arbre. Arbre ? Elle examine les tâches, appuie dessus, regarde si ça fait mal comme un bleu, puis regarde la réactions, essaye d'effacer, de pousser. Elle est intriguée, curieuse. Le garçon s'agace, claque sa langue, ramenant Craquelure dans le présent plein de grêlon. Elle attrape une branche d'arbre, en élève les feuilles, et d'un geste expert, se compose un gros chignons de sa lourde chevelures sur le haut de son crâne, le fixant de la branche dénudée.

« ça devrait me protéger la tête des galets, ainsi, souciez-vous juste de votre tête à partir de maintenant. » Elle regarde autour d'eux, une petite lueur déterminée apparaissant dans son regard de poupée. Si le garçon s'agace, c'est elle qui sera la force tranquille du groupe. Duo. Amusant à penser après son début peu glorieux. « Je v... Je cherche l'arbre par ici. Voulez-vous vous reposer un peu ? Oh, et, je suis Craquelure. Enchantée ! »

La rencontre aussi aurait pu être belle et romantique ! Mais le crit de la pelouse battue à mort par la pluie de galet gâche tout. Un coucher de soleil, ç'aurait été bien mieux.

Spoiler:

Un bruissement. La pluie de galet reprend de plus belle. Puis soudain, un bruit sourd, des branches qui se cassent, un choc lourd sur le sol. Blanc est de retour.

Spoiler:

Et tout devint noir... J'avais tenté de résister à la mort, mais la mort me rattrapa. Fichu lac noir, tu me tueras. La fumée se dissipe, et, devant moi, une créature que je reconnaîtrais entre mille. Un de ces fichus prédateurs végétaux qui hantent ces lieux. Sauf qu'il n'y a pas de lieu. Il y a lui, moi, et le vide. Nous ne tombons pas, mais lui comme moi avons compris quelque chose. L'un d'entre nous doit mourir...

Il a des griffes, il a des crocs. Et je n'ai rien. L'issue est déjà déterminée, et sans appel. Et déjà, la chose-plante bondit. Et tout se passe au ralenti. Mais je ne revois pas ma vie passer devant mes yeux, je l'ai oubliée. Tout ce que je revois, c'est un centaure donnant un galet noir à un jeune homme, puis je me revois, dans la forêt, bandant mon arc. Une fois de plus. Une fois encore. Et encore une fois avant que je comprenne.

« Ce n'est pas réel. »

Un arc apparaît entre mes mains, une flèche encochée. J'ai à peine le temps de viser, de le bander, qu'il me faut décocher. Directement dans la gueule du monstre. L'arc, la flèche, et la créature tombent, se divisant en galets noirs... Puis le sol lui-même s'effrite sous mes pieds. Et je tombe.

Un craquement d'arbre, un choc soudain au niveau des pieds, et les galets qui tombent autour de moi et sur moi... Il y a là les deux personnes qui m'avaient vu disparaître.

« Léger contretemps... Je vous ai manqué ? »

Il n'y a pas que Blanc qui est apparu. Derrière lui, un arbre à poussé, un arbre gigantesque. Ses veinures larges et brunes, et son écorce épaisse forment un visage au creux de son tronc. Ses branches s'agitent et les feuilles qui bruissent deviennent l'orchestre d'une douce mélodie. Et un vent frais vient accompagner cette mélodie, la dispersant aux quatre vents. Les cheveux des protagonistes s'envolent peu à peu. Soudain la mélodie est recouverte par une voix grave, vieille et douce.

« Enfant de ce monde, venez près de moi et vous recevrez un cadeau unique. Approchez, n'ayez pas peur. Posez votre main contre mon cœur. »

L'homme observa la jeune femme se construire un chignon pour que les galets ne fassent que rebondir ou être du moins amortis. Les femmes avaient de la chance pour ça pensait-il. Et elle proposa de chercher après l'arbre en question et se présenta. Il allait répondre par son nom, unique information qu'il acceptait de communiquer sur lui, mais un crack se fit entendre. Sourd, rapide, violent le corps de l'homme qui avait disparu d'un seul coup tomba, emportant avec lui branches et galets.

Notre homme le regarda dubitatif. Il a juste disparu comme ça pour réapparaître de manière aussi... Soudaine et complètement illogique ? Non parce qu'il lui semblait qu'il avait été happé par le lac sombre, pourquoi est-il réapparu... Par les airs ? Et cela ne semblait pas troublé plus que ça le type qui était tombé.

Mais comme si ça n'était pas suffisant, une mélodie douce, calme et reposante pris la place du ramdam que faisait la pluie de galet. Une mélodie que seul le vent savait faire en se glissant dans les feuilles d'un arbre. L'homme se tourna vers un grand et vieux arbre qu'il semblait pourtant n'avoir jamais vu jusque là. Il s'approcha un peu lorsque l'arbre se mit à parler de sa voix grave et bienveillante. Il eut un léger mouvement de recul. Dans ses souvenirs – ou plutôt ceux du petit garçon – un arbre ne devait pas parler. Et il trouva ses paroles louches.

Méfiant, il s'en approcha doucement mais ne le toucha jamais. Après la disparition, les galets et la réapparition, il ne voulait pas être encore sujet à bizarreries. Alors il lâcha plus à lui-même qu'aux autres.

« Qui nous dit que rien ne nous tombera sur le coin du nez ? »

Alors il s'arrêta à un mètre de l'arbre, il ne voulait pas être plus prêt. C'était louche. Bien trop pour qu'il se laisse aller à faire des câlin à un vieil arbre, quand bien même il a l'air bienveillant.

HRP:

Il y a bien des choses qui chagrinent, alors, la noble demoiselle.

La perte de mémoire en est une. Que l'autre n'est pas donné son prénom en retour en est une autre. Que le premier disparaisse de manière aussi irréelle qu'est sa réapparition en est une autre. L'endroit la chagrine aussi, le manque de temps pour souffler également. En fait, rien ne va.

Craquelure a envie de craquer, de pleurer, de désespérer.

Elle sert ses petits poings sur un pan de sa nuisette, sert les dents dans une lutte contre elle-même pour ne pas encore une fois, céder à la panique, sert son cœur contre le monde qui l'entoure. Elle voudrait du calme, elle voudrait du luxe, respirer et évoluer dans un milieu qui est siens plutôt qu'être ainsi roturière. Elle veut redevenir elle même, même si, à l'instant, elle ne sait plus très bien qui elle est. Elle secoue la tête, ne démord pas de sa volonté d'être plus forte que ça, mais elle a l'impression de jouer au funambule au dessus d'un vide effrayant. La corde est de plus en plus fine. Elle approche un peu du brun tombé du ciel, gros caillou s'il en est, et tente un sourire.

« Vous avez… l'art et la manière de sortir et d'entrer en scène. » Très spirituel, elle n'arrive pas à dire mieux. Elle tremble. « Vous portez-vous bien… ? »

Il ne faudrait pas plus pour que la jeune femme perde toute notion de réalité.
Mais le plus arrive, sous la forme d'un visage dans un arbre, d'une douce mélodie qui enserre le cœur de Craquelure de quelque douce folie, d'une voix douce et plaisante… la branche qui tenait sa coiffure de fortune cède, la douce chevelure bouclée de la noble retombe en cascade souple sur ses épaules.

Et Craquelure craque. Crac.

« Ha ha, dans quel cauchemar me suis-je donc perdue ? »

Elle se lève, avance doucement vers l'arbre et, à l’interrogation de Wound, elle ne peut répondre que d'un sourire pitoyable. La mémoire, le fleuve, les galets, les tâches noires sur son corps...

« Que pourrait-il nous arriver de pire ? »

Elle ne sait même plus qui elle est, n'arrive pas à respirer pour reprendre ses esprit. Les deux autres ont l'air tout aussi perdu. Alors oui, Craquelure prend le pari : les choses peuvent-elles encore empirer ?

Que peut-on perdre quand on ne semble déjà ne plus rien avoir ?

« Je... Je vais bien, mademoiselle. Rien de grave en tout cas. »

C'est un rêve, rien qu'un rêve... Se retrouver aussi près de la mort et s'en sortir n'est possible que lors d'un rêve. Et la manière la plus simple de sortir d'un rêve, c'est d'ouvrir les yeux. Sauf que mes yeux sont ouverts, et que je me sens on ne peut plus réveillé. Le mieux reste alors de suivre l'histoire jusqu'au bout. Aussi, quand un arbre nous demande de poser sa main sur lui, aussi louche puisse-t-il être, et surtout s'il a un air bienveillant, il faut obéir...

« Le pire qui puisse nous arriver, c'est de mourir, de toute façon ! »

Je prends par la main mes deux compagnons d'infortune pour les forcer à toucher l'arbre. Rien ne peut nous arriver de pire que la mort, après tout. Alors un arbre qui a l'air aussi gentil ne peut pas être si néfaste !

Et la mort... Je viens tout juste d'y échapper. J'espère ne pas avoir été trop violent pour la frêle main de la demoiselle.

« Vous aurez tout le temps de vous plaindre dans l'au-delà si c'était une mauvaise idée ! »

hrp: