Quatorze heure. Ou presque. Un jeune homme à l'allure négligée marche en toute tranquillité dans les petites rues de Paris. Les mains fourrées dans les poches de son vieux sweat bordeaux, il regarde les gens qui passent par là, avec autant d’intérêt que si il s'agissait d'un match de football. C'est dire. Il a froid au bout des doigts. C'est bien les mitaines, c'est pratique, mais y'a plus efficace. Ses vieilles chaussures en cuir brun traînent sur le sol alors qu'il baille dans son écharpe. Deux étudiantes entrain de manger leur sandwich sur un banc de pierre le regardent passer. Elles ont l'habitude maintenant, elles qui se tiennent toujours ici à quatorze heure moins-le-quart. C'est son trajet quotidien, il se rend à son boulot. C'est définitivement pas le seul par ici, dans la foule de gens pressés. Il y en a plein comme lui, des femmes, des hommes qui arborent une tête de déterrés parce que quand il faut y'aller, faut y'aller. Faut avouer que le ciel gris et le nuages n'aident pas. Les vilains. Il paraît que nos humeurs et sentiments changent en fonction du temps. Non, sans blague. Il faudrait être un peu lent d'esprit pour ne pas remarquer que les gens tirent des tronches aussi sombre que le ciel. Et quand il fait beau, miracle, des sourires. En général, c'est ça. Sauf si on tombe sur des humanoïdes étranges. Ceux qui sourient tout le temps, ou ceux qui broient du noir toute leur vie. Si, ça existe. Cela dit, c'est pas vraiment comme si Ajay en avait quelque chose à faire.

Une dizaine de minutes plus tard, il est arrivé. Passant son vieux sac à dos noir au devant, il ouvre la petite poche et en sort un trousseau de clé imposant. Il cherche, il trouve. Insère la clé dans la serrure et tourne. Parfait, c'est ouvert. Non, en effet, ce n'est pas quelque chose d'extraordinaire, il a appris à ne plus se tromper, avec le temps. Ça fait quatre ans maintenant. Bordel, ça fait longtemps en fait. Il soupire le jeune homme, il aurait bien aimé faire autre chose de sa vie. Oh pas un truc vraiment important, quelque chose de posé voyez-vous. Dans un musée, ça aurait été pas mal. C'est pas comme si il avait vraiment abandonné, il continue de postuler, à droite, à gauche, de temps en temps. Il a un peu perdu la motivation, il est pas forcement optimiste. Ou alors si, disons simplement qu'il manque de volonté. Enfin, il est pas malheureux dans son bar, c'est plutôt sympa. On peut y voir des gens de tout horizon, faire de jolies rencontres aussi, parfois. Et se prendre la tête avec des clients agressifs ou condescendants. En même temps, ceux là ne méritent qu'une bonne bière blonde dans la tronche. Du genre qui colle bien aux vêtements. Et qui empeste. Non, mais il est heureux. Vraiment. Il lui en faut peu.

Il avance dans la pièce, allume la lumière, vu que le ciel à décider de teindre la ville de gris. Il s'étire de tout son long alors qu'il avance vers le comptoir, passant les rangées de banquettes rouges.  Le gars fait parcourir ses doigts sur le bois de la planche, alors qu'il passe derrière, là où les boissons sont étalées comme des trophées gagnés au cross. Il inspire, fortement, il aime bien l'odeur du bar. Non, étrangement, ça sent pas l’alcool. Plutôt le salon confortable, et la violette. Peut-être parce que le patron adore mettre des bougies parfumés quand les clients sont partis. Même si Ajay lui dit qu'un jour, il fera tout cramer. Du bois partout, de l'alcool et du feu, ça fait plutôt mauvais ménage. Enfin, c'est pas grave, il est plutôt mignon, le boss avec ses petites bougies. Et puis il lui fait bien confiance, alors le brun aux reflets roux, il en fait autant. Retirant son sweat, il va le poser sur le grand porte manteau près de l'entrée puis il va ouvrir les volets. Un, deux, puis trois. Voilà. Un peu de jour. Mais juste un peu, parce qu'il fait toujours aussi moche.

Bon aller, faut passer un p'tit coup. Juste histoire de dire. Il remonte les manches de son fin pull beige, attrape un chiffon et fait toutes les tables. Puis le comptoir, et voilà. La routine. Il se retourne, derrière le comptoir, histoire de voir si il y a bien des glaçons dans le petit congélo. C'est là qu'il le voit. Un petit post-it bleu clair. Il sourit. Ah, le boss et ses petits mots à l'encre noir. Avec son écriture ronde, comme celle des demoiselles qui sortent du lycée. Il arrête de s'attendrir et s’intéresse plutôt au contenu du mot. Ah merde, il avait oublié. L'entretien. Il faut bien remplacer le barman qui prend des congés de deux semaines, le vil. Second soupir. Il se rappelle maintenant, une nana doit passer, dans … cinq minutes. Et c'est lui qui doit lui faire passer l'entretien, parce que le boss lui fait confiance. Chouette. Enfin, non, vraiment. Ça risque d'être amusant.

Un peu plus tard, il est toujours debout derrière le comptoir. Il lit un bouquin, un roman d'gare, policier il paraît. Quand soudain on frappe à la porte, il fait signe d'entrer, sans regarder. Il ne lâche pas sa page, pas encore, il attend d'avoir finit le paragraphe. Mais il dit quand même deux trois mots, sans même voir de qui il s'agit, histoire d'être poli.

Bonjour. Vous v'nez pour l'entretien ? Asseyez vous à la table qui vous plaira, j'arrive.

Il finit sa phrase en relevant les yeux, un agréable sourire posé sur ses lèvres.

On me l'avait dit pourtant, que j'avais pas le temps d'aller chercher le meilleur kebab de Paris en un quart d'heure. Mais est-ce que c'est vraiment de ma faute si j'enchaine deux heures de littérature juste avant la pause déjeuner ? Ok, j'aurais pu me faire un sandwich. N'empêche que ça valait le coup. Même si j'avoue que j'me sens un peu ballonnée. Mais bref, ta gueule Sym, et court, ça te fera perdre toutes les calories que tu viens d'emmagasiner.
Heureusement, il fait pas beau, donc pas chaud. Ça me permettra de pas arriver en sueur à mon entretien. C'est qu'il s'agit de faire bonne impression ! Mais vraiment.. Pour une fois qu'on me propose un entretien dans un bar, il va falloir que j'arrive à la bourre..!

Je connais bien ce quartier, tant mieux, ça m'évitera de chercher ledit bar pendant des plombes. Je dépasse deux jeunes étudiantes finissant leurs sandwichs en fourrant mon nez dans mon écharpe extra-longue. C'est qu'il fait frisquet dis donc.. Je sais qu'en Avril on est censé ne pas se découvrir d'un fil mais c'est plus fort que moi. Et encore, aujourd'hui j'ai fait un effort et j'ai passé une chemise bleue pour aller avec mon short. Oui, faut pas trop en demander non plus. Quand je porte trop de tissu ça me perturbe. Déjà que je me force à pas marcher pieds nus en ville.. Chez moi je me balade toujours toute nue, c'est carrément plus pratique. Mais je m'égare.

Un coup d'oeil à mon téléphone m'apprend qu'il est presque quatorze heures et quart. Soit l'heure de mon rendez-vous. J'accélère le pas, si c'est encore possible de ne pas dire que je cours, en cherchant le bâtiment des yeux.
Un soupir soulagé m'échappe lorsque je finis par apercevoir l'enseigne au détour d'une rue. Je la dévale en bondissant tel le colibri sauvage avant de m'arrêter tellement soudainement que le type derrière moi manque de me percuter de plein fouet. Je m'excuse d'un large sourire avant de reporter mon attention sur la vitrine du bar pour me réarranger un tant soit peu. Hop, je fourre mes dreads sous mon bandana, je déplie mon short pour qu'il soit plus long, je tente le sourire poli de la mort qui tue.. Ça marche, la vitre a l'air carrément charmée. Et à en juger par la dame qui s'est arrêtée pour me regarder du coin de son œil désabusé, elle n'est pas la seule.
D'un pas décidé, je franchis le seuil. La première chose qui me frappe, c'est l'odeur. Non pas que ça pue ; ça, ça aurait été normal. Non en fait ça sent.. la bougie. Comme dans ma salle de bain. Si ça se trouve je suis dans un bar à sirop, ou un salon de méditation alcoolisé. Bah quoi ? On est à Paris, tout est possible...
Après avoir rapidement balayé la pièce des yeux, j'aperçois un mec derrière le comptoir. Ah. C'est pas ce qu'on m'avait décrit ça. Oh bon sang j'ai dû me planter de bar ! Pourtant, les serviettes posées sur les tables indiquent la bonne enseigne... En m'approchant, je remarque qu'il a les cheveux longs, des tatouages un peu partout et qu'il porte des écarteurs. Du coup ça me va. Un type avec les cheveux longs et des écarteurs est forcément cool. Je m'arrête à une distance respectable et adopte un grand sourire, prête à lancer un puissant "Bonjouuur !" quand, sans même me regarder, le type m'intime d'aller m'installer quelque part. Je referme la bouche en haussant les épaules et lui tire la langue. Namého, il pourrait quand même.. Oups. C'est maintenant qu'il relève les yeux lui ? Je contiens mal un fou rire et me détourne vers la salle en passant une main dans mes cheveux. Boon. Ça commence très bien je trouve. Très très bien. Parfait Sym, tu excelles jusque là. Encore heureux que je lui ai pas fait ma grimace spéciale. Je pourrais presque me frapper la tête contre une table en m'insultant mais ça risque de pas arranger mes affaires. Argh mais qu'est-ce qui va pas chez moi ?!
De toute façon, maintenant que je suis là.. Je n'ai rien à perdre. Par simple esprit de contradiction, je m'installe au bar, en face du brun, me hissant souplement au sommet du tabouret - qu'est-ce qu'ils sont hauts leurs tabourets ! - sans la bouger - sinon ça racle tout le temps le sol et ça fait un bruit affreux - avant de sortir mon CV. Comme ça, le ptit monsieur aura même pas besoin de se déplacer ! Ensuite de quoi je croise les jambes, je pose mes coudes sur le bar puis je joins les mains et place mon menton dessus, observant le jeune homme avec un sourire malicieux. Il a une bonne tête quand même. Le genre que j'adorerais faire tourner en bourrique. Et si en plus j'étais payée pour ça, ce serait vraiment le top !

Il avait les yeux, pas au bon moment apparemment. Il eut le temps d'apercevoir un bout de langue rose, sorti en guise de vengeance. Il leve légèrement un sourcil, un peu surpris, il doit bien l'avouer. Lui répondent des épaules dont les secousses semblent vouloir cacher, un peu maladroitement, un sourire mal avisé. Le coin des lèvres du jeune homme remonte du côté droit. L'entretien promet d'être amusant, surtout si la demoiselle à qui il a affaire est toujours aussi vive. Il n'était pas triste, mais pas gai non plus, maintenant il se sent un peu plus vivant. Cela ne l'empêche pas d'être toujours aussi calme. Il finit son article, les résultats des plus récentes recherches sur l'adn. Jamais il n'a été un matheux, mais cela ne l'empêche pas de s’intéresser aux progrès de la science. Bientôt, l'homme pourra faire ce qu'il veut de ses embryons. Mais là n'est pas la question. Le brun relève une fois de plus son visage, espérant voir où s'est installée la jeune femme. Il ne l'a pas entendu, trop absorbé par sa lecture, mais elle est là, juste en face de lui, un sourire d'ange plaqué sur le visage. Ou du moins, peut-être est-ce qu'elle veut faire croire, qu'elle est innocente et gentille. Pourtant dans ses yeux céruléens règne une lueur pleine de malice.

Il l'a détaille un instant, elle est jeune. Mais apparemment assez âgée pour postuler ici. Ses cheveux forment une sorte de feu d'artifice extravagant. Des mèches folles se baladent autour de son visage et dans son dos, quelques perles bleus et rouges s'y baladent nonchalamment. Il se dit que c'est peut-être un peu trop, puis se rappelle son propre crâne. En tout cas, ils sont fait pour s'entendre, au moins capillairement parlant. Malgré l'air frisquet au dehors, elle est peu vêtu. Cette demoiselle n'a pas l'air de savoir ce que signifie le froid. Il repense au bout des ses doigts, qui étaient gelés tout à l'heure. Oui, elle n'est définitivement pas frileuse. Intéressant. Une pensée un peu idiote lui passe par la tête. Les clients, ils seront content. Beaucoup d'hommes, de jeunes étudiants. Ils seront ravis de voir une jolie nana comme elle, montrer ses jambes tout en servant. Ajay, lui, il s'en fiche. Même si elle a une peau dorée et des jolies formes. Oui, oui, elle est loin d'être laide, mais et alors ? Il préfère les hommes. Ses yeux bleus qui s'étaient perdus sur les traits de sont visages tombent alors sur une feuille blanche, posée sur le comptoir. Son CV, c'est bien, elle y a pensé. C'est déjà ça, beaucoup n'y pensent même pas. Elle est réellement intéressée par le poste, peut-être même en a t-elle besoin. Il prend la feuille.

Alors, voyons voir à qui nous avons affaire … , ses yeux parcourent le curriculum vitae, ses sourcils se lève d'étonnement mais c'est un sourire qui naît sur ses lèvres quand il se remet à parler, Sym, Sym Maxandre. C'est original. C'est de quelle origine ?

Il lit encore puis pose la feuille. Il s'appuie sur le plan de travail un instant. Il n'a pas envie de continuer à lire. Il sait que ça ne veut rien dire. Alors il se redresse et un peu plus sérieux il reprend.

Bien, vos études je m'en fiche, ce n'est pas le nombre d'heure passés à faire de la littérature ou des mathématique qui vous aidera à faire du service. Vous avez de l’expérience dans le service ? Et dans la plonge ? Ici tout le monde donne un coup d'patte quand il s'agit de faire la vaisselle. Et tant qu'à faire, pourquoi vous voulez travaillez ? Un projet à accomplir ou juste des sous pour faire des emplettes ?

La question n'était pas vraiment obligatoire, mais ça l'intéresse. Pas pour porter de jugement de valeur, il ne lui en voudra pas si elle veut des sous pour s'acheter le tout dernier baladeur mp3. Lui même, quand il avait commencé, voulait juste s'acheter des promarkers, pour ses dessins personnels, même pas pour la fac. Si il a posé la question, c'est juste pour mieux la connaître, après tout si elle risque d'être sa collègue, autant qu'il la trouve sympathique. Alors il attend, voir à qui il à affaire.

Le jeune monsieur ayant l'air très absorbé par sa revue malgré mon regard persistant, je me hisse légèrement sur le tabouret pour en lire les gros titres. Wow, un truc de sciences. Bon bah tant pis ! Je me rassois et attend sagement que le bonhomme ait fini sa lecture, ce qui ne tarde pas. Heureusement. Je suis du genre tolérante et tout, mais la patience n'est pas mon fort et même si ce type fait passer des entretiens, ça ne lui donnerait pas le droit de manquer de respect aux employés. Mais visiblement ce n'est pas le cas de celui-ci, qui me dévisage à présent, un demi sourire pensif aux lèvres. Ce qu'il voit ne semble pas lui déplaire, mais sans l'intéresser non plus. C'est plus pratique non ? si je suis engagée je pourrais me concentrer sur les clients ! Mais quel gâchis quand même, un si joli minois ! Mais j'suis pas là pour ça ! Je me fous une baffe intérieure, agrandissant mon sourire de gentille fille. Finalement, le jeune brun prend la parole.

- Sym, Sym Maxandre. C'est original. C'est de quelle origine ?

- C'est de l'hébreu, expliqué-je avec application, ça veut dire "qui est exaucé".

Oui, on s'en fout, et alors ? Moi je m'en fous pas, j'aime bien mon prénom, même si c'est un prénom de garçon. Est-ce que c'est de ma faute si ma périprostipapétipute brésilienne de mère n'a pas pris le temps de vérifier si j'avais un pénis avant de me baptiser comme ça ? Bref, mon interlocuteur a l'air plutôt curieux alors autant faire un brin de causette avant de passer à ma totale inexpérience. Sujet qui s'empresse d’atterrir sur le tapis, en même temps qu'un trilliard de questions posées d'une seule traite. Je me redresse un peu sur mon tabouret en m'éclaircissant la gorge.

- Eh bien j'ai.. j'ai toujours mis la table et fait la vaisselle chez moi. - Vraiment Sym ? Ce n'est pas ce que dit ton lavabo qui déborde - Sinon j'ai travaillé dans un restau scolaire, on me faisait faire toute sorte de tâches, notamment plonge et ménage. Quant à mes motivations.. Je n'vous mentirai pas, j'ai surtout besoin d'argent.

Comme s'arrêter comme ça ferait un peu vulgaire, je développe un peu ma situation :

- Je me gère seule financièrement. Et j'en ai un peu marre de manger des pâtes tous les midis donc...

Je me mordille les lèvres en observant la réaction du barman. Peut-être un peu trop de franchise pour le coup, ça peut plaire comme agacer. J'avoue que j'ai parfois du mal à respecter la hiérarchie, et je m'autorise souvent des commentaires que j'aurais dû garder pour moi. Il faut quand même que je lui montre que je suis motivée..!

- Mais, outre ça, je pense que ce serait une expérience très enrichissante de travailler dans un bar. Et celui-ci n'est pas très loin de ma fac et en plus il est particulièrement agréable, il sent bon comme ma salle de bain et.. - Aah mais qu'est-ce que je lui raconte moi ?! - Et.. Enfin c'est un cadre de travail qui me motiverait bien.

Si je pouvais, je disparaîtrais dans le bois du bar. Il faut croire que je suis définitivement incapable de tenir une conversation formelle et sérieuse. Mon pauvre interlocuteur ne va pas tarder à me dire de la fermer, ou plus probablement à me jeter dehors à coups de pied.

De l'hebreu. Ce qui est exaucé. Original. En tout cas, ses parents ne devaient pas être des gens comme tout le monde. Ce qui plut à Ajay. Souriant bien que sérieux, il continue d'observer cette jeune demoiselle au sang chaud qui parle sans prendre le temps de respirer. C'est mignon, lui aussi avait été comme ça, à une époque. Un mélange de timidité et de stress mêlé à une envie de bien faire. Malgré toutes les bonnes intentions qu'on pouvait y mettre, le tout était un mélange bien peu apprécié des employeurs et autres décisionnaires en tout genre. En tout cas, le barman est attentif, il prend en note, dans son esprit, tout ce qu'il y a savoir sur la jeune fille. Il aime son franc-parler mais la trouve un peu jeune, peut-être pas assez mature pour ce genre de job. Que dit-il ? C'est idiot, il n'y a pas besoin de grande maturité pour servir des boissons. Il se tait, encore, et l'écoute, son expérience, ses motivations. Il a besoin de les connaître pour lui accorder une chance.

Elle se gère seule dit-elle. Ça lui fait de la peine, Ajay il n'aime pas quand les gens sont seuls. Il préfère la compagnie, la bonne humeur et l'entraide. Des personnes qui à peine sorties de leur adolescence doivent s'assumer seules … ça l’agace. C'est une période dure à vivre, il faut toujours aider ses proches dans ce genre de situation, non ? Un brin de compassion traverse l'esprit du jeune homme, et un sourire se glisse sur ses lèvres alors qu'elle évoque la très connue situation du ''je-mange-des-pates-tous-les-jours''. Il continue de l'écouter, plus attentif encore, sûrement à cause de l’empathie. Il l'entend divaguer et rit. C'est vrai que le bar sent toujours très bon, un peu comme une salle de bain, effectivement. En tout cas, cette Sym essaye de faire les choses bien, et elle a l'air motivée, ce qui n'est pas quelque chose de si courant parmi les demandeurs d'emplois, surtout ceux qui ont son âge. Généralement ils sont forcés par papa, maman et viennent déposer leur CV avec une tête d'enterrement. En tout cas, elle n'est pas comme ça.

Je vois … Et bien …

Il se redresse derrière le comptoir, fait craquer ses doigts avant de les repasser sur le curriculum vitae. Il observe un bref instant le post-it laissé par le boss. Oui, il n'y a pas d'autres entretiens aujourd'hui, et ils ont besoin d'un remplaçant au plus vite … Après tout pourquoi pas. Ajay lève les yeux, regarde la demoiselle et ne peut s’empêcher de sourire, presque attendri. On voit dans son regard qu'elle est toute stressée, qu'elle se demande quel sera le verdict. Elle n'a vraiment pas l'air méchante, bien au contraire. Il baisse à nouveau les yeux sur la feuille de papier et porte une main à son menton, caressant son bouc d'un air songeur. Finalement il prend sa décision, après tout c'est à lui de choisir, non ? Il sourit en relevant son visage.

Et bien, Sym Maxandre, j'ai le plaisir de t'annoncer que tu es prise pour une semaine d'essai dans notre petit bar ! Si tu ne vois pas d'inconvénients à commencer maintenant je vais te faire faire le tour du local et te montrer deux trois trucs à savoir.

Un clin d'oeil accompagna sa déclaration avant qu'il ne plie soigneusement le CV et le range dans une petite pochette soigneusement installée sous le comptoir, destinée à tous les papiers importants. Il s’avance ensuite vers la gauche et se retourne, faisant face à une simple porte de bois sur laquelle il est inscrit ''Ne pas entrer – STAFF'', petite blague entre lui et l'autre barman. Il entrouvre la porte avant de regarder en arrière, invitant la jeune femme à le suivre d'un signe de main.

Viens voir notre petit coin rien qu'à nous !

Le bonhomme reste silencieux pendant que je blablate des inepties à n'en plus finir, un léger sourire au coin des lèvres. D'accord, donc soit il a pitié de moi, soit il se fout intérieurement de ma gueule, ce qui est plus probable. Bon en même temps si j'apprenais à la fermer de temps à autres ça me faciliterait grandement l'existence. En fait il a l'air concentré sur ce que je raconte mais il vaut mieux pas s'y fier, moi aussi je sais adopter cette expression en cours. Enfin, au moins je réussis à le faire rire un peu.
J'ai quand même de la chance d'être tombée sur un jeune pas trop strict, parce qu'aujourd'hui je suis particulièrement en forme, n'importe qui m'aurait déjà interrompu avec un sourire coincé et un "On vous rappellera".
Quand je termine finalement mon monologue, le barman reste silencieux quelques minutes tandis que je me tortille les doigts sous le bar. Il commence à parler, puis s'interrompt à nouveau. Je hausse un sourcil perplexe. Peut-être qu'il a pas l'habitude d'envoyer chier les gens et il sait pas comment me dire poliment de retourner à ma vaisselle ? Il me regarde et sourit. Bon, ok, là c'est sûr, il a trouvé comment. Il se met à faire craquer les articulations de ses doigts. J'aime pas ça, j'avais une amie qui le faisait et ses doigts étaient tous déformés. Ses doigts à lui ont l'air plutôt normal. Il a des grandes mains, un peu calleuses. Il pourrait faire de la guitare. Moi je fais de la guitare, même si j'ai des petites mains. Maintenant il tripote son bouc en réfléchissant. Il peut pas s'empêcher de bouger ? Remarque, moi j'peux pas m'empêcher de parler alors je comprends. Ça me perturbe quand même, c'est bizarre un bouc non ? Un ptit tas de poils au bout du menton, tout seul.. Mon père aussi il en avait un. J'aimais bien tirer dessus à mes heures perdues. D'ailleurs c'est à cause de lui et ses manies de se triturer le bouc que j'ai longtemps eu le tic de me caresser le menton quand je réfléchissais. Le brun relève la tête vers moi et reprend la parole, interrompant mes divagations.

- Et bien, Sym Maxandre, j'ai le plaisir de t'annoncer que tu es prise pour une semaine d'essai dans notre petit bar ! Si tu ne vois pas d'inconvénients à commencer maintenant je vais te faire faire le tour du local et te montrer deux trois trucs à savoir.

Je reste quelques secondes de trop la bouche ouverte, observant fixement le monsieur pour essayer de discerner l'ironie dans sa déclaration.

- .. S.. Sérieux ?! Enfin j'veux dire ! Vraiment ? Ouaw merci c'est..!

Je me pince l'avant-bras avec une grimace intérieure. Ta gueule Sym, c'est pas le moment de tout faire foirer ! Sois professionnelle !

- C'est vraiment gentil à vous, j'en serai digne.

Il se lève après un clin d'oeil et se dirige vers une porte derrière le comptoir. Bon.. bah.. au revoir ? Merci pour tout ? Mais où est-ce qu'il va ?! Ah d'accord, c'était une blague et il va me montrer la caméra c'est ça ?
Quand il se retourne vers moi en me faisant signe de le suivre, je m'évanouis presque de soulagement et je saute sur mes pieds, tout excitée. Leur coin rien qu'à eux hein ? Un coin de jeunes hommes ? J'espère qu'ils en prennent autant soin que leur bar parce que.. Une nouvelle odeur de bougie parfumée me monte au nez. Je suis alors docilement le dreadlocké dans la petite pièce, un sourire idiot plaqué sur le visage.

Un petit coin rien qu'à eux, pour les barman, pas pour le boss. C'était pas grand chose mais c'était plutôt chouette. Il s'agissait d'une petite pièce, enfin petite acceptable quand même. Il y avait deux trois posters aux murs, des trucs un peu hétéroclite. Un poster de Toy Story, une grande affiche de Vol au-dessus d'un nid de Coucou et la dernière accrochée il y a pas, un poster style panorama affichant les Avengers. Sur l'un des murs sans décoration, un grand panneau de liège sur lequel était épinglé un peu tout et n'importe quoi. Des photos d'eux, quelques unes du boss -sur celles-ci on pouvait voir des petits cœurs dessinés aux marqueurs, non Ajay n'avait pas peur- mais aussi des post-it, des dessins fait à la va vite, puis quelques serviettes parfois retrouvées sur les tables ou on pouvait lire des messages, des numéros de téléphones ou voir des bonhomme patate. Il y avait aussi, forcement, quelques infos professionnelles, savoir ou été ranger quoi, la recette du dernier cocktail en vogue, ce genre de chose. Il y avait aussi une table et des chaises en bois, au milieu et une grande étagère où le personnel posait ses affaires. Oh et bien entendu, la fameuse caisse objets trouvés, où l'on pouvait pécher tout et n'importe quoi. Leur petit chez soi. Avec un sourire, il s'adressa à la demoiselle qui l'avait suivit.

C'est un peu bordélique parfois, mais c'est un chouette endroit. Je sais que tu ne reste pas longtemps parmi nous mais surtout fait comme chez toi, n'hésite pas à laisser des p'tits mots, à décorer un peu si tu veux. Enfin voilà.

Il attendit quelques instant qu'elle fasse le tour et satisfasse sa curiosité avant de lui tenir la porte, d'éteindre la lumière et de sortir derrière elle. Il ferma à clé, glissa celle-ci dans sa poche puis s'étira avant de retourner derrière le comptoir. Souriant à Sym il lui indiqua de venir par ici d'un petit geste de la main. Il sortit la pochette aux papiers important, un torchon vert, propre et bien plié ainsi qu'un petit carnet gris.

Bien, tu as devant toi l'attirail parfait du serveur. Ou presque. En fait, cette pochette, elle te servira si jamais tu es toute seule pour t'occuper du bar, se retournant vers elle il lui sourit, d'un air rassurant, ne t'en fais pas, cela n'arrivera sûrement pas, mais on ne sait jamais, les imprévus peuvent arriver et si on est que deux et que l'un de nous doit aller se ravitailler chez le marchand d'à côté … Enfin bref. Dedans c'est des papiers importants, sur les employés, les boissons qu'on vend, la carte, les taxes, la licence pour vendre de l'alcool, ce genre de choses. Enfin, normalement, tu n'auras pas à t'en servir. Souriant toujours il repousse donc la pochette avant d'attraper le torchon et de lui tendre. Voilà ton nouveau compagnon d'infortune, ce torchon n'est rien qu'à toi, personne viendra te le piquer. On s'en sert ben … pour les basiques. Et si y'a vraiment trop d'liquide, utilise cette éponge là, près de l'évier. Et ensuite, le dernier mais pas des moindre, notre petite bible personnelle.

Un sourire amusé au coin des lèvres, Ajay attrapa la fameuse bible. Avec soin il l'ouvrit en évidence sur la première page. En gros et en large, écrit au stylo « THE COCKTAIL BIBLE ». Voilà tout était dit, il fit défiler quelques pages, différentes couleurs apparurent, différentes écritures aussi, mais tout était parfaitement lisible, ils avaient bien fait attention.

Les recettes en rouge sont avec alcool, celles en bleu sans alcool. C'est nos recettes persos, toujours un peu modifiées de celle qu'on peut trouver sur internet. Et puis y'a pleins de p'tits conseils utiles sur comment faire quoi. Enfin, on te la prête toute cette semaine, tu peux même l'emporter chez toi pour réviser un peu ! Mais ne divulgue pas nos recettes … et n'abuse pas trop non plus de « Non mais c'est juste pour essayer que je bois ça .. », d'accord ?

Il lui sourit avant de lui tendre le carnet.

Tu reviendras demain, vers 9h-9h30, ça nous laissera trente minutes avant l'ouverture pour installer tout ça et revoir quelques bases, ok ? Des questions ?

J'entre dans la petite pièce qui sent bon et suis aussitôt assaillie de dizaines de petits détails qui me sautent aux yeux. Comme le poster des Avengers, les petits dessins et les photos. Tiens.. le boss ne ressemble pas vraiment à ce à quoi je m'attendais. Un peu dans le style du barman en fait, en plus efféminé peut-être. Je lis en diagonale les petits mots laissés un peu partout et m'arrête sur les signatures. L'une est parfaitement lisible, l'écriture ronde et soignée.. Medhi ? L'autre par contre.. A.. Ag.. Hum. C'est vrai qu'il s'est même pas présenté ce bonhomme.

Je hoche la tête à ses mots avec un sourire ravi. Ça ? Bordélique ? Il faut pas que tu viennes chez moi mon gars. Pas de bières vides, de mégots écrasés ni de déchets qui trainent, c'est le summum de la propreté ! Je reviens vers mon barman qui referme la porte avant de me présenter tout l'attirail du parfait serveur. J'espère en effet ne pas me retrouver toute seule tout de suite parce que j'ai pas tout suivi. Légèrement perplexe, je regarde bien tous les documents qu'il me présente en essayant d'enregistrer ce qu'on me raconte. Je prends ensuite le torchon qu'il me tend, me sentant inexplicablement enchantée de ce cadeau. Je vais broder des trucs dessus et tout ! C'est MON torchon de MON boulot, trop cool ! Enfin, il me tend un cahier dont le nom me fait rire. The Cocktail Bible, c'est du sérieux ! Je l'attrape religieusement en hochant la tête.

- Je ne me permettrai pas.

Et puis j'oserai jamais. J'aurais trop peur de me faire guillotiner dans l'un de tes écarteurs.
Ah, je commence demain ? Bon.. bah ok ! Pour l'instant on est en vacances donc pas de soucis pour les horaires, mais si je suis prise il faudra que je négocie pour que ça colle avec mes heures de cours. Des questions ? Hum..

- Comment tu.. vous vous appelez ?

Aïe, le tutoiement est parti tout seul, mauvaise habitude. J'ai tendance à toujours dire "tu", même aux inconnus, même aux vieux et sûrement même au Président de la République. J'ajoute un sourire d'excuse avant de ranger soigneusement le carnet dans mon sac.

Elle semble attentive la petite, tant mieux, faudrait pas qu'elle loupe un bout de la conversation. Ajay est plutôt satisfait, satisfait tout court même. Content de son choix. Après tout, comme il avait su le déceler plus tôt, elle était motivée et semblait vraiment apte à ce genre de job. Bon évidemment, ça allait faire un énième serveur à l'allure un peu étrange dans l'établissement, peu importe, c'était aussi un peu pour ça que les habitués venaient par là. Enfin ils venaient pour ça mais aussi et surtout les super cocktail. Et Sym avait eu l'air de comprendre, vu la manière dont elle tenait le petit carnet. Cela suffit à arracher un sourire amusé à Ajay. Et puis il la regarde, réfléchir, hésiter un peu, puis poser sa question. Une question évidente, pourquoi n'y a t-il pas pensé plus tôt ?  Se frappant le front de la paume de sa main, un facepalm en bonne et due forme il finit par reprendre contenance, tendant cette main désespérée à la jeune demoiselle pour serrer la sienne en tout professionnalisme.

Ah oui. Je suis un imbécile. J'oubliais le plus important, dit-il en levant ses sourcils d'un air faussement aguicheur, Ajay. Oui mon prénom vient aussi de l'étranger. Je suis un peu particulier mais tu devrais pouvoir t'habituer.

L'atmosphère plus académique qui planait quelques minutes plus tôt avait désormais disparue. Après tout, elle était maintenant son égal ! Bon, son égal en période d'essai, mais tout de même ! Et puis les gens travaillaient toujours mieux dans un bon cadre, l'entente entre les membres de l'équipe était primordiale. Autant la mettre à l'aise tout de suite !

Tu peux me tutoyer au fait, et tu pourras tutoyer l'autre serveur qui ne vient que le samedi. Pour ce qui est du boss par contre, Msieur Amiri, il se pencha pour chuchoter, celui avec les cheveux bleus tu peux pas le louper, puis se redressa en souriant, vaut mieux le vouvoyer pour l'instant, c'est à lui de te dire quand arrêter ! Mais cela ne jamais très longtemps, tu verras. Et puis même si il est assez … impressionnant, il est adorable.

Ca pour être adorable, c'était un ange. Un ange tombé du ciel avec un physique a tomber et une culture gigantesque. Un ange dont il ferait bien son quatre heures … Enfin, il se perdait quelque peu... Se tournant vers la demoiselle, il se demanda si il avait encore des choses à préciser, il regarda autour de lui et un éclair le frappa. Pauvre imbécile qu'il était, il oubliait bien des choses.

Oh, au fait, on fonctionne par rangées ici. Tu vois les tables de là-bas jusqu'au mur de droite, dit-il en pointant les dites tables, c'est la rangée un, des tables une à huit. Les deux autres, rangées deux et trois. Comme on sera tout les deux demain en journée, je m'occuperais des tables une à douze ainsi que du comptoir, tu t'occuperas donc des tables treize à vingt-quatre ! Si a un moment ça devient trop compliqué pour toi, n'hésite pas à me le dire. Oh, et du coup, comme chacun à ses tables, les pourboires qui se trouvent dessus sont à nous !

Second sourire avant de faire le tour de la salle. Cette fois-ci, il n'a plus rien à dire ...ah si.

J'oubliais. Encore, oui, tu te feras vite à mon coté un peu tête en l'air. Nous réglerons tes horaires en fin de service, demain. De ce fait … si tu n'as pas d'autres question, tu es libre petit oiseau ! Sinon, je suis prêt à te répondre ! Oh et ...

Attrapant un bout de papier et un crayon, il nota son numéro de portable perso ainsi que celui, fixe, du bar.

Si tu as un soucis, ne peut pas venir etc, appelle le bar et si ca ne répond pas, appelle moi.

Le bonhomme se lance dans un superbe facepalm suite à ma question. J'ai dû mal à me retenir de rire, mes lèvres frémissent lorsqu'il reporte un regard désespéré sur moi. Je lui serre la main avec enthousiasme. Son ton de séducteur a raison de mon vœu d'impassibilité et je ricane doucement avant de répondre, tout sourire :

- Enchantée Ajay.

Moi j'aime les gens particuliers. J'irai pas jusqu'à dire qu'être original est un critère de sélection dans mes rencontres parce que ça fait snob mais.. presque. Pourtant c'est dur de croiser quelqu'un qui n'ait vraiment rien de singulier. Il y a toujours un détail, une lueur dans les yeux, une affirmation dans la démarche, une fragilité dans la silhouette, quelque chose qui me donne envie de connaître cette personne, de la comprendre. Bien que j'en ai rarement l'opportunité.
Je hoche la tête aux paroles logiques du barman. "Il est adorable". C'est le moins qu'on puisse dire apparemment, il en a l'air presque.. émoustillé ? Ou ça vient de moi ? C'est mon côté yaoïste qui ressort. De toute façon il est trop vieux pour moi alors je peux bien le shipper avec qui je veux.
Je l'écoute docilement m'expliquer le fonctionnement des tables. J'ai un peu de mal à repérer les tables dont il parle mais je fais bonne figure. Donc treize à vingt-quatre.. J'essaie de compter depuis le début pour trouver où commence mes tables mais Ajay reprend la parole. Ah les horaires, oui c'est une bonne idée. Je range le papier dans une poche de mon sac.

- D'acc ! ..ord. Eh bien je crois que je n'ai plus de questions, c'est parfait !

Je souris telle une idiote. J'ai vraiment une chance pas possible, ce job tombe à pic. Je lève les yeux vers mon bienfaiteur.

- Merci.

Voilà, c'est dit simplement et j'ai l'air con mais fallait quand même que j'le dise. Je rajuste la bandoulière de mon sac et toussote avant d'enchaîner.

- Bon alors.. à demain ?

Oui parce qu'en fait je préfèrerais qu'il confirme, histoire d'être sûre de pas avoir fantasmé tout l'entretien. Et puis je sais pas si je dois lui resserer la main ou pas. Du coup je reste plantée là à me tortiller les doigts et à sourire comme une mongole.

Cette fois-ci, Ajay était sur -ou presque- d'avoir donné toutes les informations nécessaires à la jeune demoiselle. Enfin, en omettant les informations qu'il allait lui donner demain. Il allait devoir consulter le boss, ce soir, pour se mettre d'accord sur l'emploi du temps. Après tout elle venait en remplacement, et devrait logiquement avoir les mêmes horaires que celui qu'elle remplaçait, cependant il valait mieux commencer mollo, et ne pas l'agresser avec un nombre d'heures bien trop important pour elle. Après tout, elle avait tout le mois d'août pour s'habituer. Et puis, si elle vraiment bien et que la cohésion avec le reste de l'équipe se faisait sans accroc, ils lui proposeraient sûrement de rester plus longtemps. Enfin … ils n'en étaient pas encore là, elle devait déjà faire son premier jour. Et autant certaines personnes avaient quasi le service dans le sang, autant d'autres devenaient extrêmement maladroites avec un plateau entre les mains. Il verrait bien demain, de toute façon, et aurait une semaine pour la juger. Ce n'était que la deuxième ou troisième fois qu'il faisait ça, mais c'est sympa, d'avoir des responsabilités.  

Et puis, il fallait avouer que c'était son étrange moyen de faire ''sa propre justice''. Non, rien à voir avec des histoires de meurtres ou de sanglantes expériences sur de pauvres êtres humains. Non, il s'agissait plutôt de … faire sa justice dans le monde du travail. Un endroit hargneux où les jeunes n'avaient bien souvent par leur place. Bien beau de privilégier l'expérience, mais comment ces étudiants pouvaient-ils avoir l'expérience si on ne les engageait pas en premier lieux ? Et puis … cette histoire d'entretien, de premier contact qui fait tout. En cherchant du boulot, pas mal de gens lui avaient conseillés de couper ses dreadlocks, lui ne voyait absolument pas en quoi changer de coup de cheveux -car après tout ce n'était qu'une coupe comme les autres- pouvait l'aider à trouver, soudainement du travail. Ajay trouvait cela dommage. Évidemment il était d'accord avec le principe de tenue correcte obligée, de politesse et de ponctualité. Mais en quoi un tatouage pourrait-il l’empêcher de faire à merveille un métier ? Enfin .. la question n'était plus d'actualité puisque cela faisait maintenant pas mal de temps que le jeune homme travaillait pour Mehdi, le meilleur patron qui pouvait exister -et pas uniquement grâce à sa magnifique paire de fesses.

Souriant comme un bienheureux à la future employée -qui avait l'air aussi heureuse que lui, soit dit en passant- il acquiesça tranquillement. Lui non plus ne voyait aucun autre sujet à aborder et donc, aucune raison de la retenir plus longtemps. Ajay la regarde, encore un peu timide, encore un peu gênée, et il sourit plus chaleureusement encore.

Oui c'est cela même, à demain.

Il s'approcha de la porte et lui ouvrit en toute galanterie, avant qu'elle ne franchisse le seuil, il lui fit un dernier clin d'oeil.

Tout ira bien, ne t'en fais pas.

Souriant tranquillement, il referma la porte derrière elle, le sentiment présent en lui, d'avoir fait un très bon choix.

Comment ne pas sourire devant quelqu'un d'aussi chaleureux ? Je hoche la tête et passe la porte que me tient Ajay. Sa voix me fait relever les yeux vers lui.

- Tout ira bien, ne t'en fais pas.

Je crois que je ne m'inquiétais pas trop de base, mais son ton rassurant et cette étrange confiance en lui - en moi ? - ont raison de tous mes derniers doutes. Je réponds d'un simple signe de tête et je franchis le seuil. La porte se referme derrière moi avec un petit tintement. Je prends soin de m'éloigner un peu, histoire de garder ce qu'il me reste de crédibilité aux yeux de mon employeur, avant de me mettre à sautiller, souriant à m'en faire mal aux zygomatiques puisque je ne peux pas crier ma joie tout de suite. Certains passants, croisant mon regard, me jette des coups d'oeil perplexes, d'autres me sourient en retour, pour mon plus grand plaisir. Le ciel s'est éclairci, comme mon avenir ! Non je ne sur-réagis pas. C'est une simple prise en essai, mais j'ai l'impression d'avoir gagné au loto. J'espère que le boss sera aussi cool que le barman mais je ne me fais pas trop de soucis. Là encore, un mec aux cheveux bleus est forcément cool. Et puis Ajay m'inspire tellement confiance que s'il affirmait que Captain America topse Iron Man, je le croirais sur paroles. Heureusement, c'est pas le cas, faut pas déconner.
Je tire mon Ipod de mon sac, jetant au passage un regard enthousiaste à la Bible des Cocktails. Je vais potasser tout ça ce soir, j'ai vraiment envie de bien faire, d'impressionner. Ce serait une belle façon de montrer au dreadlocké qu'il ne s'est pas trompé dans son choix, c'est le moins que je puisse faire. Et puis j'ai un drôle de pressentiment, une petite voix qui me souffle que j'ai vraiment de la chance d'avoir acheté le petit journal du quartier pour la première fois depuis mon emménagement ce matin-là, d'avoir vu cette petite annonce d'offre d'emploi et d'avoir passé cet entretien aujourd'hui à cet endroit.
Je repasse par le même chemin, histoire de bien mémoriser le trajet. Les deux étudiantes ne sont plus là. Je dépasse tranquillement la fac, direction home sweet home.