Je suis seule dans mon atelier. C'est le matin, j'entends déjà les oiseaux chanter dans le jardin. Ma fille dort sûrement encore, elle ne se lèvera pas avant au moins 8h, je l'espère. Je regarde par la fenêtre le soleil qui se lève doucement. Depuis quand la nuit passe si vite ?  Je regarde le travail que j'ai accomplie dans la nuit. J'ai tellement peu avancé. Je me dois de préparer la prochaine collection hiver. Sur mon bureau, il y a des feuilles qui volent dans tous les sens. Des crayons, des feutres. De tout ! C'est un beau bordel. Une mère chat n'y retrouverait pas ses chatons. Une nouvelle nuit blanche !

Ce bureau a bien besoin d'être rangé. Je vire donc tout d'un coup de bras. Et hop tout est par terre. Mon téléphone aussi, c'est justement lui que je cherchais ! Je l'attrape. Il a l'habitude que je le martyrise de la sorte. Bien sur, comme dans cette pièce, il y a aussi du tissu partout, cela amortie sa chute, alors il n'a rien. Heureusement. Ayant tous mes contacts dedans, je ne sais pas comment je pourrais m'en sortir sans lui. Je nettoie l'écran avant de cliquer sur le petit bouton sur le côté, pour qu'il s'allume, et que je puisse voir l'heure. Il est 5h56. Je vais aller prendre une bonne douche. Je me remettrais à la collection juste après.

Sous la douche, ce n'est pas mieux. Je ne profite pas de l'eau chaude pour me détendre, comme on le fait habituellement sous une douche. Mais je réfléchit. Encore ! Je veux avoir finis les dessins de la nouvelle collection avant la fin de la semaine. On est mercredi. Vendredi à minuit pile, je dois poser sur ce bureau, le dossier stylisme fini. Ma fille m'avait pourtant dit de me coucher quand elle-même partait au lit hier soir.

De retour dans cette pièce qui me sert d'atelier pour fabriquer mes propres créations, je ramasse les papiers au sol. Je fais une jolie pile qui donne l'impression que j'ai rangé. Juste les feuilles. Je prends une chaise, je me pose devant ce bureau. Et j'analyse chacun des dessins se trouvant sur les feuilles. J'ai une centaine de feuilles à regarder. Mais je n'arrive pas à juger. Ni à me concentrer sur cette tâche pourtant si simple. J'ai un peu ordonné les croquis. Sans plus. Sans avoir arrêté mon choix. J'entends du bruit dans le couloir. Ma fille vient de se lever. C'est l'heure ricoré ! Je laisse tout en plan, c'est notre instant chocolat chaud du petit déjeuner.

J'ouvre la porte, je la vois traîner ses pantoufles et son doudou. C'est bien ma fille. Ma si adorable petite fille. Elle grandi si vite. Je ne suis vraiment pas pressée qu'elle rentre dans sa période de crise d'adolescence. Je me souviens encore de la mienne, et c'était pas joli joli. Et comme je l'ai eu très jeune, je n'en suis pas si loin. 9 ans quoi ! Bon, je l'accord, ça commence à faire, mais moins que la plupart des parents. J'arrive derrière elle, je l'attrape et la prends dans mes bras pour lui faire un gros câlin alors qu'elle se trouve encore à moitié endormie.
« Bien dormi mon petit Pingouin d'amour ? On va se prendre un bon chocolat et tu me racontera ton rêve »
La gardant dans mes bras, je descends dans la cuisine. La posant sur sa chaise, elle laisse tomber sa tête lourde sur la table, son doudou comme oreiller. J'en profite pour tout préparer. Et nous passons un agréable moment toutes les deux.

C'est peut être les seuls instants où je me permets de ne pas penser au boulot. Pendant que je fais la vaisselle, c'est une habitude, je ne passe jamais notre vaisselle du matin au lave vaisselle, c'est trop flemmard comme solution. Pour deux bols quand même. Je garde un œil sur ma petite qui descend l'allée pour partir à la rencontre du facteur. Il lui donne une petite enveloppe et se sauve. Pourvu que ce ne soit pas une mauvaise nouvelle. C'est beaucoup trop tôt que que cette lettre provienne de mes fournisseurs, à moins que ce soit pour m'annoncer qu'ils ne pourront pas me livrer dans les temps la nouvelle commande que j'ai passée pour mon magasin à Paris. C'est parti si vite, il faut que je réapprovisionne le magasin avant la fin de l'été si je veux continuer à faire des ventes.  Je suis tellement fière quand je vois dans le magasin les clients porter mes ensembles ! Et cette Sydonia, l'une de mes plus fidèle VIP !

Je la regarde ouvrir le carton. Ouf, ce n'était pas ce que je crois. Elle n'ouvre pas le courrier d'habitude. Il ne devait pas être à mon nom. Elle revient joyeusement en courant.
« Maman, maman, j'ai gagné, on y va dit, on y va s'il te plaiiiiiiiiiit »
Mais qu'est-ce qu'elle peut bien tenir dans ses mains pour me supplier de la sorte. J'attrape le rectangle de papier qu'elle me tend. ''Félicitation''. Oui, ça elle me l'a dit qu'elle avait gagné. Je lis rapidement le reste. Blablabla festival Blablabla couleur Blablabla fraises Bla... Fraises. FRAISES !

Le choix est fait. Nous sommes donc en route pour aller ramasser des fraises. Il ne m'a pas fallut longtemps pour tout abandonner à la maison quand j'ai vue le mot fraise et qu'en plus on pourrait cuisiner et manger ! Pour traîner dans les champs, je me suis habillée en conséquence. Bon d'accord, je ne suis pas en mode fermière non plus. Une très élégante salopette, et un t-shirt qui de base ne devait pas m'appartenir. Des bottines toutes mignonnes, en raccord parfait avec ma fille. Qui porte une casquette en plus pour se protéger du soleil. Nous arrivons rapidement au lieu dit sur le petit carton d'invitation. Nous ne sommes pas des plus en avance, sur le parking on y trouve déjà de nombreux véhicules.

À l'entrée, un vieux fermier nous donne à chacune un panier en échange du petit carton. Arrivées dans les champs, je laisse ma fille se pencher pour goûter les fraises avant de les ramasser. Bien sur, elle a raison, on ne va pas ramasser des choses qui sont mauvaises ! Quand à moi, je regarde un peu le monde qui est là. Je cherche du regard mon amie, sa marraine. Sasha ! Pour le moment, je ne la vois pas. Mais nous finirons bien par tomber sur elle. En espérant qu'elle soit venu. Juste avant de partir, je lui ai envoyé un texto pour l'inviter à l'événement. Je trouvais que c'était là une bonne occasion de passer un peu de temps toutes les trois.

Une fraise.  Ce petit fruit qui d'habitude n'est pas volant, vient d'atterrir sur mon visage. Alors soit elles génétiquement modifiées et ont apprit à voler, soit c'est une attaque fourbe de fraise. Mais qui aurait osé. Je regarde autour de moi. Non je ne regarde pas. Je ne regarde plus ! Si je regarde encore du coin de l'oeil pour être sur. Et mince, et zut. Mais pourquoi il est là ! Est-ce qu'en plus ce ne serait pas son haut que je porte là ? Je ne sais pas, je ne me souviens pas de ce que je lui ai piqué à lui comme habit. Je souhaite qu'il ne m'ai pas reconnu. Pas lui qui me demande toujours de lui rendre ce que je lui ai prit cette nuit là en me sauvant quand il m'annonçait qu'il voulait bien rencontrer ma fille. Moi qui disais cela pour le faire fuir …

Cette fraise va être mon plus grand supplice de cette journée. Mon dieu, mais pourquoi il a fallut que lui aussi se trouve ici, aujourd'hui même. Je regarde ma fille, mon adorable petit bonbon sucré, tout de rose habillée. Je la vois si joyeuse à ramasser les fruits rouges. Je me dit que ce n'est pas si grave si Kallias est là. Il me suffira de l'éviter. Je partirais de mon côté avec Kanelle et Sasha quand celle-ci sera arrivée. Et tout se passera très bien. Mais assurément, je ne le laisserais pas s'approcher de ma fille. Sa réaction était trop surprenante, trop directe pour que ça ne me semble pas louche. D'habitude, dans ce genre de situation, les hommes fuient... alors pourquoi pas lui ? De toute façon, j'ai décidé que ma fille était à moi, c'est mon petit trésor et je ne la partage qu'avec Sasha sa marraine et Eliot son tout mignon petit amoureux. Je craque complètement au parc quand ils sont tous les deux. Avec Tom, le papa du petit garçon, on est complètement accro à nos deux enfants quand ils jouent ensembles. Il faut dire qu'il n'y a pas plus mignon qu'eux.

« Karma ! »
J'étais tellement préoccupée par la présence de Kallias, que je n'ai même pas remarqué mon amie arriver. je soupire de soulagement, et me tourne vers elle, un immense sourire sur le visage. Je lui laisse à peine le temps d'arriver à mon niveau que je lui saute dans les bras. Je suis tellement heureuse de la voir. Elle m'avait manqué, ma seconde chérie.  
« Sasha ! Je suis contente que tu sois venue, ça me fait plaisir, et ça va drôlement faire plaisir à Kanelle aussi. Dis moi, ça fait combien de temps qu'on ne s'était pas retrouvée toutes les trois ainsi ? Sans que ce soit chez moi et que je travaille, bien sur ! »
Je rigole à ma propre bêtise. Je le sais, je suis une accro de mon boulot. Mais il faut bien si je veux que tout cela profite. Et puis j'aime ce que je fais. J'ai d'ailleurs mon carnet secret de croquis sur moi. J'en profiterais peut être pour faire quelques esquisses plus tard dans la journée. Avec Sasha, je sais que Kanelle ne risque rien. Même si Kallias est dans les parages !

Elle m’attendrit quand je la voit se pencher sur ma fille pour lui donner son panier, tout en lui demandant son avis sur les fraises qu'elle a ramassé au passage en venant nous rejoindre dans ce champ.
« Tiens, tu veux bien me dire si j’ai choisi de bonnes fraises ? »
Elle lui cède son panier et revient me voir pour me poser la question la plus idiote du monde. Ha ma Sasha, et oui, elle est comme ça. Et je l'aime comme elle est. Je lui souris en l'écoutant.
« Merci de m’avoir invité à vous rejoindre ça m’a fait plaisir, mais tu es sûre de ne pas vouloir rester seule avec ta fille ? »
Je la prends dans mes bras une nouvelle fois. Je l'aime trop ma Sasha. Elle est ma meilleure amie, et jamais cela ne pourra changer, pas même pour un homme, ou une femme. Jamais rien ne pourra nous séparer, comme pour ma fille, elle sera toujours mon petit pingouin d'amour. Sasha est une femme très particulière, oui, elle s'habille et se comporte comme un homme, mais elle n'en reste pas moins une femme. Une femme que j'apprécie de tout mon coeur.
« Bien sur que je suis sur, tu le sais très bien, si j'avais voulu passer la journée qu'avec Kanelle, je l'aurais fait, mais aujourd'hui, je vous voulais toutes les deux ! On va passer une excellente journée maintenant que tu es là. »

Mais à mon grand regret, tout ce bonheur m'avais presque fait oublier un détail. Un gros détail puisque c'est en fait un homme. Pour dire vrai, j'aurais put réellement l'oublier si il ne se trouvait pas en cet instant dans mon dos, et si je ne venais pas d'entendre sa voix prononcer mon prénom.
« Oh Karma, quelle joie de te revoir ! Je suis désolé pour la fraise qui t'est tombée dessus, vraiment. Et c'est pas mon t-shirt que je vois ? Kallias, enchanté. »
Je me tourne doucement vers lui pour lui faire face. Je baisse les yeux juste deux secondes pour regarder le fameux t-shirt que je porte là. Ouais, il a peut être bien raison, c'est peut être bien le sien. Mais cela m'importe peu, Car il ne va pas le récupérer. Il est à moi maintenant. J'aurais tellement préféré qu'il m'ignore. Souhaiter qu'il ne me reconnaisse pas c'était trop impossible, mais c'est beau de rêver, et il faut dire que ces derniers temps, je n'en ai pas tellement eu l'occasion.
« Kallias. Je n'en dirais pas autant de mon côté. Si ce n'est que pour t'excuser pour cet incident de fraise, je pense que tu peux retourner à ta cueillette, je ne t'en veux pas. Ton T-shirt ? Ouais peut être, et même si c'est le cas, à moins que tu veuille me l'échanger contre un autre de tes vêtements, je ne te le rendrais pas. Sur ce, puis-je te souhaiter une bonne journée ? »
Oui, je crois encore au père noël. J'espère sincèrement qu'il me réponde bonne journée à toi, qu'il se sauve retrouver le jeune homme qui se tient là bas, avec deux paniers. Un ami à lui ? Cela voudrait dire qu'il a des amis ? Étonnant !

Mais le détail que je remarque, et que je ne vais pas lui laisser passer, c'est le regard qu'il lance à ma fille. Non, non, tout ça ne me plait pas du tout. Mais pas du tout du tout. le regard qui tue (sans tuer, à mon grand regret), vous connaissez ? Bien sur que oui, et bien imaginez moi, en train de descendre Kallias du regard pour le regard qu'il lance vers ma fille. Je l'attrape par le bras, je le conduis un peu plus loin, juste assez pour pouvoir lui chuchoter sans que personne ne puisse nous entendre.
« Oublie tout de suite l'idée que tu as en tête ! Retourne faire mumuse avec monsieur bonnet là-bas, et passons une bonne journée chacun de notre côté. »
Malheureusement, je pense le connaître assez pour savoir qu'il ne va pas abandonner si facilement. Cette journée qui s'annonçait calme, risque d'être beaucoup plus mouvementée que ce à quoi je m'attendais en quittant la maison ce matin avec ma fille.