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Ou pas...

Nathanaël gisait sur son lit, le regard rivé sur les poutres de son plafond, un air de profonde contrariété sur son visage.
« Tu te rends compte, Oscar, que c’est peut-être la seule occasion de toute mon existence pour écrire sur ce thème fascinant qu’est l’épidémie ?
- La seule occasion de ton existence, sans aucun doute. Surtout si celle-ci se termine prématurément parce que tu auras choppé cette saleté !
Le chat était couché sur le rebord de la fenêtre, et l’observait d’un œil critique.
- Ce que tu peux être trouillard ! Je te rappelle que tu ne risques rien, les chats imaginaires sont immunisés contre la grippe, je suis sûr que ça a déjà été prouvé scientifiquement.
- Ce que tu peux être ingrat ! Je m’inquiète pour ta santé, et voilà ce que je récolte ! Au passage, je te rappelle que ta mère t’a rigoureusement interdit de sortir.
Nath’ grimaça au souvenir du beuglement, qui avait fait trembler les murs de l’immense manoir familial. « MET UN ORTEIL HORS DE CETTE MAISON, NATHANAËL EDOUARD KOENIGSWARTER, ET JE TE PROMETS QUE CE N’EST PAS LA GRIPPE QUI AUTA TA PEAU, MAIS MOIIIIIII ! ». Il en avait encore les oreilles qui sifflaient.
- C’est vrai. Raison de plus pour que je le fasse.
- Et qu’est-ce que tu vas bien pouvoir faire, tout seul, dans les rues désertées –à juste titre- de la capitale, hmm ?
Le chat avait soulevé un point crucial. Nathanaël adorait chercher l’inspiration, mais détestait le faire seul. Il ruminait ces sombres pensées tout en allumant son portable –qu’il avait tout bonnement oublié au fond de son sac depuis à peu près deux jours. Quelle ne fût pas sa joie lorsqu’il découvrit le message vocal laissé par Alva ! Son visage s’éclaira, et il sauta sur ses pieds.
- Bouge ta fourrure, Oscar, j’ai trouvé quelqu’un pour m’accompagner !
- Qui est ce pauvre inconscient ?
- Alva ! Elle veut que je lui amène un bouquin, tiens, c’est celui en haut de l’étagère, là-bas, tu veux pas aller me le chercher le temps que je retrouve ma deuxième chaussure ?
- J’ai la vague impression que la petite n’a pas encore donné son accord, concernant ton projet débile de ballade. Et va chercher ton bouquin toi-même, je te rappelle que je n’existe pas !
- Elle n’a pas pu donner son accord, je ne lui en ai pas encore parlé ! Mais tu connais mes capacités de persuasion.
- Et je connais la ténacité de la petite. Tu n’as jamais réussi à la convaincre que ses cheveux étaient roses.
Nath’ attrapa le livre et l’enfourna dans sa besace, où se trouvaient déjà son carnet, son portefeuille et son appareil photo –on aurait vraiment dit qu’il était parti pour une visite touristique.
- Ecoute, Oscar, je n’ai pas dit que ce serait facile. Ne commençons pas à argumenter, je vais avoir suffisamment à faire avec Alva. »

Nathanaël n’eut aucun mal à soudoyer le chauffeur de la famille pour qu’il l’emmène jusque chez Alva. C’était un homme d’âge mûr, peu bavard dans ses bons jours, franchement ronchons le reste du temps, et plutôt du genre à filer doux face à la mère de Nath’, qui lui avait expressément interdit de conduire son fils où que ce soit. Mais Nath’ connaissait son point faible : il était hautement corruptible, non pas avec de l’argent, mais à coups de cartes Pokémon, dont il était un grand et illustre collectionneur. Nath’ s’efforçait régulièrement de dénicher des cartes rares pour pouvoir les échanger contre un voyage de temps à autres. Pour celui-ci, il avait déboursé une brillante collector, édition limitée, seulement éditée à cinquante exemplaires dans le monde entier. L’homme était aux anges, à tel point qu’il avait failli sourire.

Ainsi, vingt petites minutes plus tard, Nath’ se trouvait devant l’appartement d’Alva, Oscar sur son épaule. La porte s’ouvrit en un temps record, ce qui fit sourire le garçon. Il reconnaissait bien là Alva et son insatiable gloutonnerie pour la lecture.
« Alva, bonjour ! » claironna-t-il en pénétrant à l’intérieur sans y avoir été invité. Il n’avait pas fait un mètre qu’il avait déjà failli piétiner trois livres. Histoire d’être sûr d’éviter le massacre, il cessa de se déplacer, se plantant simplement au milieu du salon. « Il fait un temps superbe, tu ne trouves pas ? ». A vrai dire, il faisait un temps superbe depuis plus d’une semaine, mais la banalité n’avait d’autre but que d’entrer doucement dans le vif du sujet. Il étudia le visage de la jeune fille. « Vu l’état de ton appart’, je suppose que tu as dû passer tout le mois d’août à bouquiner. Tu en as même les yeux rouges. Et puis tu es toute pâle. Si tu continues comme ça, tu vas finir myope comme une taupe et aussi énergique qu’une méduse. ». Il lui adressa son sourire le plus chaleureux. « Il faut que tu voies un peu la lumière du soleil, Alva, alors que dirais-tu d’une petit ballade dans la ville, hum ? »