Dans un monde noir, sans espoir. | ft. Arthur et Sym

Alerte de niveau 5

Ploc, ploc.

Tu regardes par la baie vitrée de ton salon. Il pleut. Les rues sont vides. Ce n'est décidément pas un temps à sortir. Le téléviseur allumé, le volume assez fort, tu écoutes. Les nouvelles de l'épidémie. Tu ne crains pas pour ton organisme particulier, mais juste pour les cicatrices. Tu ne sais pas si ça peut les infecter, cette connerie. Dans tous les cas, c'est bien la première fois que tu vois si peu de monde dans la capitale en plein été. Autant en profiter. Tu sais qu'il y aura d'autres personnes dehors. Tu pourras te poser tranquillement pour les observer.

Avant, tu vas quand même bander et panser chacune de tes cicatrices. Au cas où. Même avec les vêtements, on ne sait jamais. Tout peut arriver. Mourir, d'accord. Perdre un bras ou une jambe, comme ça, non merci. Une bombe lacrymogène et un couteau aiguisé. Par précaution. Tu as beau avoir confiance en toi, enfin presque, les gens, dans cet état psychologiques, ne te feront pas de pitié. Ils seront comme tu l'as été auparavant, avant de tuer.

La porte bien clenchée, tu sors de ton appartement, décontracté. Tu n'as pas de courrier. Même les facteurs ont décidé de faire grève apparemment. Pour une fois que la SNCF n'est pas seule... Tu regardes le ciel.

Ploc, ploc.

D'un geste machinal, ta capuche se retrouve sur tes cheveux. Bien que quelques mèches rebelles aient décidé de sortir aussi. Tu restes assis sur un petit muret en regardant autour de toi. Personne. Pas une âme qui vive. On dirait vraiment une de ces villes fantômes qu'il y a dans les jeux ou les films. Non pas que tu t’intéresses de près ou de loin à ces choses là, mais tu en as entendu parler, alors tu sais reconnaître la situation.

L'air décidé, tu te relèves et tu commences à marcher. Il est possible qu'on t'observe, d'une fenêtre. Tu n'as pas de masque chirurgical qui plus est. Les gens doivent te prendre pour un fou. Mais ne dit-on pas que la folie et le génie sont séparés par une frontière commune ? Tu préfères te dire que tu es un génie fou. Ça a bien plus de classe qu'un simple génie ou qu'un simple fou...

Toujours personne. Ça te fait quand même bizarre. Malgré le fait qu'il pleuve, la ville est restée la même. C'est juste... que les gens ont déserté. Par peur de mourir. Tu ne comprends pas cette logique, on meurt tous un jour non ? Que ce soit maintenant ou dans dix ans, c'est la même chose. Certes, s'il y avait quelqu'un, du genre Ajay, à côté de toi... Tu aurais pris un masque. Juste pour rassurer. Tu n'es pas un monstre non plus.

Tu t'arrêtes devant des commerces, à proximité des habitations. Vides. Pas un employé, pas un client. Quelques vitres brisées, par ci, par là. Et toi, au milieu de tout ça. Qui observe telle une bête curieuse la moindre ombre que tu vois passer.

Danse du soleil

C'est déjà assez déprimant cette histoire d'infection, il faut en plus qu'il pleuve. Baah ça me déprime. En plein été, obligée de rester confinée dans dix mètres carré... Je peux même pas faire ma semaine d'essai dans le bar du dreadlocké puisque de toute façon personne ne sort.
Ma télé bug à cause du mauvais temps, je peux pas non plus regarder tranquillement la rediffusion du Hobbit. Ah ça m'énerve tiens... Tant pis il faut que j'bouge ! J'attrape mes clés et mon Ipod et je descends les marches de mon immeuble avant de sortir, en short et en t-shirt. Ça sert à rien de se couvrir de toute façon, on suffoque ici.. et puis les microbes c'est comme les fées non ? La pluie ça les empêche de voler dans les rues.
Je monte le volume à fond afin que le son de Metallica me remplisse les oreilles. Mes chaussures en toile prennent déjà l'eau. Ça fait effet ventouse quand je décolle mes pieds du trottoir. Au début je trouve ça marrant mais ça a tôt fait de m'agacer. Je les enlève et les garde à la main tout en marchant. Je ne sais même pas où je vais, je m'éloigne de mon quartier mais je m'en fiche un peu. J'aimerais bien croiser du monde. Quelqu'un qui se baladerait dans les rues avec l'épidémie et par ce temps serait forcément quelqu'un d'intéressant.
Je soupire. Les mèches folles autour de mon visage gouttent, je dois ressembler à un palmier trempé. Je profite d'être seule pour chantonner. D'habitude j'évite de chanter dans la rue, je me demande pourquoi mais ça a tendance à inquiéter le public au sujet de ma santé mentale. C'est dommage quand même. Si tu souris sans raison à un inconnu, dans le bus par exemple, il va soit te prendre pour une allumée, soit penser que tu te fous de sa gueule, soit que tu le dragues. Alors qu'à la base t'es juste de bonne humeur et t'avais envie de le faire partager. Paris peut vraiment être triste parfois. Je secoue la tête, envoyant des gouttes d'eau partout autour de moi, ce qui me fait ricaner. Metallica cède sa place à Matmatah, je me mets à marcher plus vite, en rythme avec la chanson. La musique est la seule chose au monde à pouvoir me rebooster en si peu de temps. J'exécute une petite pirouette à l'angle d'une rue et je percute de plein fouet quelque chose, ou quelqu'un, à moins que les murs et les lampadaires soient devenus mous. Sous le choc, je lâche mes chaussures qui viennent s'écraser par terre avec un gros "sploosh". Ouaïe.. Pourquoi j'ai l'impression que ça devient une habitude de rentrer dans les gens..? Je me masse le crâne avant de m'arrêter net. Un gens ! Je relève les yeux vers le gens en question tout en arrachant d'une main les écouteurs de mes oreilles.

- Désolée je.. m'attendais pas à croiser quelqu'un.. Est-ce que ça va ?

Ce qui est la stricte vérité en fait. J'en reste là pour les politesses, occupée à le dévisager. D'accord, je m'attendais pas à tomber sur un spécimen aussi original. C'est un mec, un peu plus grand que moi, et sans doute un peu plus vieux, mais je n'arrive pas à lui donner un âge. Ses longs cheveux blancs, ses yeux un peu gris et sa fine taille lui donne un air androgyne particulièrement singulier. Mais le plus intriguant, ce sont ces bandages qui dépassent au niveau de son cou. Je remarque qu'il en a également sur le poignet lorsqu'il lève les bras pour replacer sa capuche. Étrange.. Il sort de l’hôpital ? Il a pas l'air de souffrir pourtant.. Et moi qui me trouvais déjà peu ordinaire.. Je me rends compte que ça fait cinq bonnes minutes que je détaille ce garçon du regard et que je dois avoir l'air un peu bizarre. Je toussote et lui souris amicalement. Si ça se trouve c'est un psychopathe. C'est peut-être l'intensité de son regard qui donne cette impression. M'enfin il doit pas être bien méchant hein ? En fait, je dirais même plutôt fascinant.

Emmitouflé dans le hoodie le plus imperméable du monde (estampillé Disneyland Paris, mais ça, faut pas le dire), Arthur arpentait les rues désertes de Paris. Le mois d'août était habituellement très calme, mais cette année, il n'arrivait même pas à croiser de touristes en mal de photos.

Même en plein jour, les rues étaient presque vides. Même les voitures ne monopolisaient plus la place ni l'espace sonore. Arthur se demandait bien pourquoi.

Evidemment, s'il avait regardé la télé, écouté la radio, ou s'il avait consulté des sites d'actualités sur internet, il aurait su que Paris était en quarantaine. Il aurait su qu'il risquait plus ou moins sa vie en sortant se promener.

Mais Arthur ne s'intéressait que peu au monde dans lequel il vivait. Il préférait de loin rêver le sien.

C'était justement ce qu'il faisait quand il aperçut au loin deux silhouettes, visiblement en pleine discussion. Intrigué, il s'en approcha lentement en faisant mine de flâner et de faire du lèche-vitrines.

C'étaient un jeune homme aux cheveux pâles, voire blancs, abrité lui aussi sous la capuche de son hoodie, et une jeune femme blonde à la coiffure rocambolesque et au regard intense.

"Sûrement deux échappés de la Japan Expo" conclut-il en son for intérieur, sans savoir qu'il avait quelques mois de retard. Il continua de s'approcher l'air de rien, mais s'apprêtait à changer d'itinéraire.

Il se demandait tout de même ce que fichaient ces deux-là...

Trois minutes, une chute.

Trois minutes. C'est à peu près ce que tu as compté. Avant qu'on ne te percute de plein fouet (et tu ne t'y attendais pas à ça). Avant que tu rencontres quelqu'un. Tu remets ta capuche tombée à cause du choc et tu regardes ton pantalon. Trempé. À cause de chaussures qui t'ont éclaboussé. Une minute. À cause de chaussures ? Tu te poses des questions. D'où sort cette paire de chaussures bon sang ? Puis tu remarques. Des pieds nus, au sol. Tu lèves la tête. Une demoiselle, qui te détaille. Tu te pinces un peu la lèvre. Jamais tu n'aurais pensé voir quelqu'un d'aussi près par ce temps et ces conditions.

Elle s'excuse, t'explique, te demande si tout va bien. Tu avais constaté par toi même qu'elle ne s'attendait pas à croiser quelqu'un, à en juger par le coup que tu t'es pris. Et par sa tenue. Qui enlève ses chaussures et ne porte presque rien avec cette pluie ? Tu n'es pas un exemple à prendre, mais tu es certain que ce n'est pas ce que le commun des mortels ferait. Tu souris.

« Je ne pensais pas non plus croiser quelqu'un de cette manière. Ni quelqu'un d'autre qui tente de faire du shopping ? Les magasins sont tous fermés tu sais... »

Tu tournes la tête vers le second inconnu. Lui il est habillé pour la période, il est peut-être un peu plus sensé... Quoi que. Physiquement c'est sûrement toi le plus étrange de tous mais...

« Je me demande ce que vous faites ici pendant l'épidémie... »

Pensée exprimée à haute voix ? Peut-être. Dans tous les cas, ça résume parfaitement la situation. On peut aussi te poser la question, qui n'en est pas une mais plutôt une réflexion personnelle. Sauf que tu n'as de comptes à rendre à personne n'est-ce pas ? En plus, tu n'es pas venu ici pour parler, mais juste pour observer. Bien qu'il soit possible que tu aies eu ton quota. Une jeune femme en tenue légère sous la pluie, presque aussi étrange que toi, et un jeune homme qui pensait vous duper. Oui, « vous », car tu penses que celle qui t'a malencontreusement bousculé l'a remarqué aussi. Mais rien n'est moins sûr..

1, 2, 3.. quoi ?

Le visage du bonhomme reste parfaitement dénué d'expression jusqu'à ce que je m'arrête de parler. Il me regarde, c'est tout. Mal à l'aise, je me baisse pour ramasser mes chaussures. Aïe, j'ai mouillé son pantalon.. On dirait presque qu'il va me frapper.. Puis, au moment où j'allai éclater de rire ou me mettre à pleurer, il sourit. Ouf.

- Je ne pensais pas non plus croiser quelqu'un de cette manière. Ni quelqu'un d'autre qui tente de faire du shopping ? Les magasins sont tous fermés tu sais...

Ah.. d'accord, il me prend pour une demeurée. Farpait. Je me force quand même à sourire un peu pour répondre.

- Je sais oui, j'étais juste..

Mais il ne m'écoute pas, il fixe quelque chose au-dessus de mon épaule. Je jette un coup d'oeil intrigué derrière moi et découvre avec surprise un autre homme, marchant dans notre direction, feignant d'observer les vitrines. Il a un petit air perplexe qui me souffle qu'il ne sait pas vraiment que tout est fermé. Ça me donne envie de me retourner vers l'autre encapuchonné pour faire "AH" mais je m'abstiens. C'est quand même bizarre. Je m'attendais pas à rencontrer autant de gens. En plus on dirait que j'ai touché le gros lot. Quoique le nouveau venu semble déjà un peu plus normal que l'autre. Ce-dernier reprend la parole, comme pour lui-même. Je me tourne à nouveau vers lui. C'est vrai que je n'ai même pas de réponse à lui fournir. Je suis là parce que je trouve un certain plaisir à marcher pieds nus dans l'eau de pluie et à faire coucou aux gens qui me dévisagent avec de grands yeux depuis leurs fenêtres. Mais c'est pas tout à fait le genre de choses qu'on raconte aux inconnus, pas vrai ? Malgré tout, ma langue a fonctionné plus vite que mon cerveau.

- Et toi alors ?

Je hausse les épaules avant de secouer la tête d'un air vague, comme pour m'excuser, espérant lui signifier qu'il n'a pas besoin de répondre. Un nouveau regard en arrière m'apprend que l'autre jeune homme s'est approché de nous. Je lui souris, parce que je suis pas malpolie. Bon.. et maintenant, qu'est-ce que je fais..?

Spoiler:

Pensées éphémères

Le garçon, derrière (enfin devant selon ton point de vue), il te répond pas, il est peut-être trop perdu dans ses pensées. Tu sais ce que c'est toi aussi, de ne pas entendre ce qu'on te dit parce que tu es trop occupé à réfléchir à quelque chose qui a attiré ton attention, n'est-ce pas ? Alors tu ne retiens pas trop son comportement, vu le nombre de fois où tu as pu faire ça. À moins... Qu'il ne soit touché par l'épidémie. Dans ce cas, c'est un peu plus grave. Pas que tu craignes grand chose (comme si tu avais peur de mourir en temps normal) mais la demoiselle face à toi c'est sûrement plus dangereux pour elle. Tu n'es pas cruel au point de la regarder se faire contaminer pendant que tu sirotes un cocktail des îles. De toute façon, personne actuellement ne pourrait t'en faire un.

Tu décides de l'ignorer. Si la blonde se sent en danger, elle le fera certainement savoir. Et si elle ne le fait pas savoir... C'est qu'elle est vraiment idiote. Mais elle n'a pas l'air idiote. C'est ta première impression, et bien qu'on dise que la première est toujours la bonne, on ne sait jamais sur quoi tomber. Tu préfères être capable de changer d'avis. Même si parfois tu ne veux pas. Il y a des gens, que tu apprécies, et tu ne veux pas ne plus être capable de ça, pourtant, c'est le cas. Au cas où, on te laisse seul.

D'ailleurs, tu te perds dans tes pensées. Ne faisant presque plus attention à celle qui te fait face. L'oubliant. Oui, c'est ça. Tu l'oublies petit à petit, pris dans tes réflexions sur les capacités humaines. Dans ces moments là, mieux vaut ne pas rentrer dans ton esprit tellement tout est confus et désordonné. On verrait la chambre d'un adolescent pré-pubère, ça serait exactement la même chose. Cependant, ça reste méchant de comparer ton esprit à cela, donc on parlera juste de bordel. Tes pensées sont carrément en bordel, et une s'y rajoute, celle qui dit qu'il faudrait peut-être que tu remettes tout en place un jour.

Mais tout ça fait tilt, au moment où on te pose une question. Trois mots, trois simples mots qui te réveillent. Et c'est pas plus mal. Ça ne vaut pas un bon café au matin, mais au moins tu es réveillé et tu reprends conscience de la situation dans laquelle tu es. On te demande ce que toi tu fais là. Un geste, d'excuse par la suite. Tu clignes des yeux. Elle veut que tu répondes ou non ?

« Chaque chose en son temps... Je répondrai si tu me réponds. »

Tu t'adosses à un mur non loin, une main dans une poche, l'autre tenant ta capuche pour ne pas qu'elle parte. Ce comportement nonchalant qui te rend si détesté des gens. Pourtant, tu sais que ces deux là (puisque tu comptes l'homme qui est dans ses pensées) ne te fuiront pas. Ils sont dehors par temps de pluie et période d'épidémie. Ils sont donc au moins aussi fous que toi, c'est ce que tu en as conclu.

Reste à voir si tout cela s'avère être exact...

Le temps de chaque chose.

L'homme aux cheveux blancs.. tiens c'est vrai ça, comme on appelle quelqu'un qui a les cheveux blancs ? Disons.. Blandin. Je sais plus d'où ça vient, mais c'est plus court à penser. Donc Blandin observe l'homme derrière moi pendant ce qui me semble être une éternité. N'ayant rien de mieux à faire, je lui jette également quelques coups d'oeil. Ce type est soit timide, soit un peu sourd, soit maladroitement mal intentionné. Enfin, il n'a pas l'air bien dangereux. Et je sais me défendre. Maxime m'a appris tout plein de mouvements super bad ass en capoeira. Quand je me tourne à nouveau vers Blandin, c'est cette fois-ci moi qu'il regarde. Bien. C'est encore plus embarrassant. On devrait mettre en place une loi qui interdise aux gens de rester silencieux plus d'une minute en fixant quelqu'un. Il cligne des yeux, visiblement perplexe.

- Chaque chose en son temps... Je répondrai si tu me réponds.

Son ton est détaché, presque lointain. Et cette façon de s'exprimer, si peu ordinaire, a le mérite très inhabituel de me couper le sifflet. On dirait un psychologue. Il s'adosse contre un mur avec une gracieuse nonchalance. Sa manche se soulève alors qu'il retient sa capuche, dévoilant à nouveau ces intrigants bandages. Je me demande s'il est recouvert de pansements sous ses vêtements. Mais ma curiosité n'a pas raison de mon respect et je la fais taire. Chaque chose en son temps hein ? Bien, alors si on en a fini avec les civilités, je peux m'asseoir par terre ? Non, non là ce serait vraiment bizarre. Je pose mes fesses sur un de ces petits poteaux en pierre blanche qui marquent les passages piétons, lâchant mes chaussures à son côté. J'essore distraitement quelques unes de mes tresses tout en réfléchissant à haute voix.

- Eh bien je ne fais rien de très palpitant, je m'ennuyais et il m'a semblé que sortir me promener sous la pluie en musique était ma seule option.

Je voulais donner au hasard une chance de provoquer quelque chose, n'importe quoi, au cours de cette journée morbide. La rue est un lieu qui se prête bien à ce genre de n'importe quoi. Ça je le garde pour moi, j'aime pas tellement développer mes réflexions intérieures. J'en ai pas l'habitude, je n'ai jamais vraiment eu quelqu'un à qui en faire part. Et puis j'ai pas envie d'ennuyer les gens. C'est comme quand on te demande si ça va, en général on n'attend pas une réponse honnête et encore moins développée, juste un "ça va et toi ?" avec le sourire qui va bien. J'éteins mon Ipod qui continue de brailler dans mes écouteurs depuis dix minutes et le range dans la poche de mon short. Je regarde mes orteils clapoter dans l'eau avant de relever les yeux vers Blandin.

- Le temps est à ta réponse je crois.

L'autre homme s'approche de plus en plus, il doit pouvoir entendre à peu près tout ce qu'on dit mais il ne parle pas. Je me tasse sur mon poteau pour le laisser passer s'il décide de continuer dans cette rue.

Arthur était, comme les deux autres l'avaient deviné, plongé dans ses pensées. Il regardait les vitrines depuis 10 minutes et il commençait seulement à s'apercevoir que tous ces magasins étaient fermés.

"On n'est pas dimanche, pourtant..." pensa-t-il. Tout à coup, il fut conscient d'être trop près de la petite blonde et de l'encapuchonné pour faire semblant de ne pas les avoir vus.

Il décida donc de s'approcher franchement et demanda :

"Excusez-moi, bonjour, vous savez pourquoi y'a pas beaucoup de monde dans la rue aujourd'hui ? Et les magasins sont fermés aussi... Il y a un évènement ?"

Tout en parlant, Arthur ne pouvait s'empêcher de se demander comment la jeune fille pouvait ne pas attraper de bronchite. Elle était pied nus dans l'eau, en tenue plus que légère et n'essayait même pas d'échapper à la pluie. Bizarre, bizarre...

In the End

Tes yeux se lèvent vers les ciel. Il pleut de plus en plus. Tu as bien fait de t'habiller en conséquence. Quoi que, tu l'aurais fait même s'il faisait une chaleur caniculaire. En même temps, tu écoutes la réponse qu'on te fournit. Simplement se promener ? Peut-être est-elle masochiste. Oui, c'est une hypothèse plausible. Tu ne lui en fais pas part. Pas pour l'instant du moins, mais tu notes cette réflexion dans un coin de ton esprit bordélique. Si jamais tu la recroises un jour, tu pourras peut-être confirmer ça...

« Je m'ennuyais aussi. Les rues sont calmes alors pourquoi ne pas sortir ? »

C'est une bonne réponse. Un peu passe partout, mais justement, elle passe sûrement. Du moins, tu l'espère, tu n'as pas envie de te justifier auprès de ces personnes là... « Ces » parce que l'autre gens à capuche s'est approché. Plus franchement. Vient-il de se réveiller ? Et il demande... Ce qu'il se passe ? Il n'est donc pas au courant. Est-ce simplement possible ? Il y a eu une folle cohue le jour où la « fin du monde » a été annoncée. Tu t'en souviens parfaitement puisque tu étais dehors à ce moment là... Que faisait-il pour ne pas savoir ça ? Tu t’inquiéterais presque pour lui, compatissant. Mais tu préfères rire. Ce type là, il est marrant.

« Les touristes ont ramené une épidémie mortelle tu sais ? C'est hyper dangereux de se balader dehors, tu pourrais tomber à tout moment... Tiens regarde. »

Tu leur indiques, à tous les deux puisque tu n'oublies, cette fois, pas la blonde, un magasin détruit, aux vitres brisées. Tu regardes plus attentivement et constates qu'il s'agit d'une petite boutique de retrogaming. Ils ne sont pas cons les gens, quand ça parle argent. Ils savent bien que s'ils survivent, ils pourront revendre tout ça à prix fort puisque les commerçants n'auront plus rien...

« L’événement dont il est question c'est... Le drame parisien ? Au moins on peut se balader tranquillement. »

Bien sûr, tu ne sais pas, s'il va fuir ou non, si la demoiselle a autre chose à rajouter ou non et ce genre de questions là. Dans tous les cas, leurs réactions face aux faits devraient être... Surprenantes, mais amusantes, que tu penses. Tu souris dans ton coin, te retenant de rire à nouveau. Comment de simples citoyens réagissent en sortant lors du désastre. Ça ferait un bon titre de presse, tu tiens peut-être un scoop, gamin...

I walk a lonely road

Le coup d'oeil de Blandin vers le ciel me fait prendre conscience qu'effectivement, il se met à pleuvoir pour de bon. Je suis complètement trempée et je commence à avoir du mal à regarder en face de moi avec les gouttes qui perlent à mes cils. Sa réponse est aussi évasive que la mienne. Il semblerait que personne n'ait très envie de appesantir sur son ressenti profond, dommage. Je hoche la tête tout en me levant de mon poteau pour me mettre à l'abri sous la devanture du magasin qui borde la trottoir, à environ un mètre du jeune homme. Simple intuition. Quelque chose me dit que ce n'est pas le genre de personne qui aime la proximité physique. Et puis il faut avouer qu'il est quand même vraiment bizarre ce type.
Un mouvement attire mon regard de l'autre côté de la rue, où l'autre bonhomme s'est approché. Sa question est posée sur un ton totalement innocent dont il ne me vient même pas à l'idée de douter. Il a un air de garçon perdu qui contraste totalement avec le reste de son physique. Même s'il a l'air relativement plus âgé que moi, je le trouve trop choupi et j'allais répondre gentiment quand mon voisin éclate de rire. A nouveau avec ce flegme si particulier, mais cette fois ça me hérisse. Le pauvre quoi, si ça se trouve il sort du coma, ou alors il est pauvre et il vit dans une cave sans internet ni télévision ! Je fais la moue mais je ne dis rien. Quand je déciderai de partir je ne reverrai sans doute jamais ce type, ni l'autre d'ailleurs, alors sa promptitude à juger n'est pas mon problème. Je reporte mon attention sur le brun et lui souris amicalement.

- Ça va faire une semaine que ça dure.

C'est vrai qu'au moins on est pas emmerdés par la foule, m'enfin je préfèrerais quand même un peu d'action à ce silence pesant. Quand on marche tout seul dans une rue parisienne si fréquentée d'ordinaire, on a l'impression d'être dans un film de zombies, un truc post-apocalyptique, comme si une horde de mort-vivants allait sortir de derrière une poubelle pour te dévorer la cervelle. Ça fait peur. Mais visiblement, ça ne dérange pas Blandin. En revanche ce n'est peut-être pas le cas de l'autre homme. Ça ne serait pas étonnant qu'il fasse demi-tour sur le champ pour rentrer chez lui. En fait c'est ce que toute personne un peu censée ferait. Je balaie le reste de la rue du regard. Le magasin qu'a montré Blandin est le seul vraiment abîmé. Tous les autres ont baissé leurs stores et les portes des halls d'immeubles sont toutes verrouillées. Quelqu'un pourrait être en train de crever au milieu de la rue que personne ne sortirait pour l'aider. C'est triste qu'en temps de crise la plupart des gens devienne si égoïste, alors que ce serait le meilleur moment pour faire preuve d'altruisme. Je soupire. Enfin, c'est pas maintenant qu'on va changer le monde.

Pendant une minute, Arthur crut que le blondinet (dont les cheveux étaient si clairs qu'ils avaient presque l'air blanc... Encore un truc bizarre...) se fichait de lui. En l'écoutant, il se mit même à espérer qu'il se fichait de lui.

Une épidémie mortelle ? Dans Paris ? Ça faisait froid dans le dos... Il suivit du regard ce que lui montrait le jeune homme. Un magasin de jeux vidéos avait vu sa vitrine se faire fracasser puis vider. Tout ça semblait un peu irréel à Arthur, qui n'avait même pas entendu parler d'une épidémie...

Mais alors, si tout le monde (sauf lui) était au courant de cette contagion, il y avait quelque chose d'étrange...

"Mais qu'est-ce que vous faites dehors, alors ?" demanda Arthur peu conscient de la brutalité de sa question.

Peut-être qu'ils étaient du genre un peu paumé, comme lui. Ou un peu asociaux. Oui, comme lui aussi.

Enfin eux, au moins, n'étaient pas coupés du monde au point de ne pas entendre parler d'une maladie qui ravage les rues Paris. Mais s'ils le savaient, et qu'ils avaient décidé de sortir quand même.... Ce ne serait pas eux, les ravagés ?

Humans

IIls sont amusants. Oui, tu les trouves bien amusants. L'une qui décide de sortir, comme toi, en connaissant les risques qui sont présents et l'autre, qui n'avait absolument pas conscience de la situation avant que vous l'en informiez. Et toi, qui voulait observer les gens. Objectif accompli, on peut le dire. Tu ne t'attendais vraiment pas à rencontrer des gens avec qui tu allais parlé comme si de rien n'était de l'épidémie. Comme si elle était normale. Comme si la situation en elle-même était normale. Tout ça t'arrache un léger sourire. Tu aurais bien des choses à écrire sur cette journée en rentrant, pour garder tout ça en tête, et pour te renseigner sur ces deux individus là.

La blondinette précise au rêveur que tout cela dure depuis une semaine. Oui, une belle semaine durant laquelle tu as pu faire tout ce que tu voulais sans qu'on te le reproche. Vraiment, tu aimerais que ça s'éternise. Avec la crainte de perdre un membre en moins. Donc avec le critère « mortel » en moins. Mais dans ce cas, il y a des chances pour que les gens se baladent dans les rues comme d'habitude. Il est bien compliqué d'obtenir ce que tu veux. Peut-être devrais-tu penser à aller à la campagne ?

Puis le brun pose la même question que la demoiselle a posé tout à l'heure. Qu'est-ce que vous faîtes dehors. Tu ne penses pas qu'ils aient pu deviner, d'une manière quelconque, que tu aimes risquer ta vie et surtout que tu aimes les humains pour leur potentiel scientifique et émotionnel. Qui plus est, si tu dis ça, tu risques de passer pour un fou, bien que tu assumes l'être. Alors tu choisis la base, et tu réponds de la même manière qu'il y a quelques minutes, incluant cette fois la blonde dans tes propos ;

« On s'ennuyait. »

Mais tu n'as pas envie de t'arrêter là. Ça ne servirait à rien de conclure la discussion comme ça, que chacun parte de son côté et que tout se termine comme un jour banal. Tu n'aurais pas assez de matière à étudier. Donc tu dois remédier à ça, tu le sais. Tu ne sais pas encore comment alors tu réfléchis vite, ou du moins tu essayes d'y réfléchir vite pour pouvoir rajouter une phrase à la suite de manière naturelle. Plus ou moins. Ça ne serait certainement pas si naturel que ça, vu que les secondes défilent tout aussi vite que la pluie tombe.

« Et tu ne trouves pas ça intéressant de, justement, sortir maintenant ? »

Sans entrer dans les détails, tu dis à peu près le fond de ta pensée. Vraiment à peu près. Parce que si tu devais tout dire, ça pourrait durer trente minutes que tu ne t'en rendrais même pas compte. Tu les regardes, l'un après l'autre, et tu souris de la même manière qu'après avoir délibéré avec ton for intérieur qu'ils étaient amusants. Ils vont très certainement rendre ta journée bien plus lumineuse que ce qu'ils peuvent imaginer, et ce, malgré le temps qui ne semble pas propice à libérer un seul rayon de soleil.

The only road that
I have ever known

Comme prévu, la nouvelle a l'air de vraiment surprendre le nouveau venu. Je me demande bien ce qui l'a tenu à l'écart d'un événement aussi important, c'est pas comme si c'était partout sur internet, dans les journaux, à la radio et à la télé. Je l'observe avec curiosité. De la surprise, il semble passer à la méfiance. Il a raison, évidement, mais la question qu'il pose m'est redondante. D'autant que, encore une fois, j'ai aucune réponse pertinente à fournir, si ce n'est que...

- On s'ennuyait.

Je jette un regard en biais à Blandin, qui m'était momentanément sorti de l'esprit. Je suis un peu surprise du pronom qu'il adopte. En fait, j'avais carrément l'impression qu'il nous prenait de haut. Je garde ma perplexité pour moi et hoche pensivement la tête sans rien ajouter. Malgré le laconisme de sa réponse, Blandin ne semble pourtant pas vouloir que la conversation s'arrête là, pour des raisons qui m'échappent totalement.

- Et tu ne trouves pas ça intéressant de, justement, sortir maintenant ?

J'arque un sourcil, prise de court par la tournure de la situation. Est-ce qu'on va vraiment se mettre à débattre de l'intérêt de l'anticonformisme maintenant ? Comme Blandin ne semble pas m'interroger moi particulièrement, je reporte mon attention sur le jeune homme qui est toujours planté au milieu du trottoir, sous la pluie qui devient presque assourdissante. Je m'assieds complètement sur le muret qui borde la devanture du magasin où nous sommes abrités, repliant mes genoux contre ma poitrine tout en repensant plus sérieusement à la question. Elle laisse supposer qu'il serait sorti dans l'espoir de faire des rencontres "intéressantes", comme il dit, un peu comme moi finalement. Ou alors il travaille dans un genre d'hôpital psychiatrique et il cherche des cobayes un peu maso pour faire des expériences. Quoi qu'il en soit, son attitude n'en est pas moins étrange. Il regarde intensément son interlocuteur, on dirait qu'il l'analyse. J'allai détourner la tête quand ce regard se plante dans le mien, alternant entre moi et l'autre homme, le tout accompagné d'un sourire franchement singulier. Ah, on dirait que je suis concernée finalement. Trois options se présentent à moi. Garder le silence, éclater de rire ou essayer d'avoir l'air spirituelle. J'allai opter quand le jeune homme prit la parole, m'épargnant un choix cornélien.

» Dans un monde fou fou fou | Jade
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