Encore une journée rien de plus normale. Dormir à l'amphi, non, dormir discrètement à l'amphi, donner au petit garçon le happy meal avec CE JOUET LÀ trop bien qui lui manquait, puis un TD, rien de plus, rien de moins. Les habituels mendiants, qui faisaient tant de peine à Lucas, mais auxquels il ne donnait rien. Il sentait les pièces inutiles brûler dans sa poche, mais la charité était de loin une chose dont il n'était plus capable, depuis qu'un arnaqueur lui avait refilé une carte postale avec un cœur contre un billet trop gros.

Une histoire de plus, une histoire de merde, qui obscurcissait encore un peu sa vie. Repenser à tout ça n'était pas une bonne idée. Il secoua la tête. Rien que des histoires à oublier. Tout en restant attentif. Finir comme ces gens n'était pas enviable, même si vivre dans un pseudo-luxe était quelque chose d'un peu honteux à son goût.

Il y avait plus loin sur le chemin un attroupement. Encore un artiste de rue. Mais celle-là, Lucas connaissait sa voix. La gamine aux cheveux rouges. Il l'avait déjà vue une fois ou deux. Peut-être même avait déjà donné une pièce. Ou pas. Les souvenirs s'emmêlent et forment d'étranges histoires parfois. La poésie n'était pas l'art favori de l'étudiant, et celle-là reflétait toujours tant de tristesse.

Apparemment, c'était la fin du "spectacle", et déjà le petit groupe se dispersait. Un gamin, à peu près aussi vieux qu'elle, vint l'aborder. « Tu es ... du Lycée XXX ? » Un co-lycéen, ancien camarade apparemment. Lucas n'était pas sûr d'avoir bien entendu comment il l'appelait. D'ailleurs, ce n'était pas ses affaires. Ce n'était pas à lui de s'immiscer.

« Lâchez moi ! »

La jeune damoiselle en détresse avait commencé à se débattre tandis que le gamin l'entraînait dans une rue à l'écart. Quelqu'un devait les avoir vu. Quelqu'un devait aller les aider. Ce n'était pas son affaire. Ce n'était plus l'affaire de Lucas. Il avait déjà donné dans la défense du pauvre et du faible. Et ce n'étaient que des gamins, ça ne pouvait pas mal finir, si ?

Prostituée.

Le gamin avait dit ça.

Non, ce n'était vraiment pas ses affaire, la poétesse aux cheveux rouges allait très bien se défendre toute seule, n'est-ce pas ? N'est-ce pas...

« J'espère que je n'dérange pas, je ne fais que passer... »

Ce n'était qu'un gamin, plus jeune que lui. La corpulence était la même, et il devait se battre souvent. Et cela faisait un bail que Lucas ne s'était pas battu. Mais cela faisait aussi un bail qu'il n'avait pas ressenti cette petite étincelle, ce frisson qui lui manquait tant.

« Qui es-tu ? Tu ne vois pas que je suis occupé ? Allez, va-t-en avant que je m'énerve ! »

Le gamin avait lâché la fille. Il savait que Lucas était un empêcheur de tournée en rond. Il le sentait. Et Lucas sentait la tension s'accumuler. L'étudiant espérait juste que son opposant n'ait pas de couteau. Ce serait vraiment trop bête de finir poignardé dans une ruelle pour une fille qu'il ne connaissait même pas...

« Uh... Je comprends... Ça doit être dur de devoir obéir à son petit robinet... Attends, j'vais t'aider ! »

Le genou de Lucas partit en direction du point faible masculin. Trop prévisible. L'autre esquiva le coup et asséna un crochet en direction du visage de son adversaire. Le choc fit mal. Lucas sentit le goût du sang. Il sourit. Le frisson de la bagarre l'envahissait.

Son poing alla frapper directement l'abdomen du gamin proxénète, et cette fois fit mouche.

« Ah, putain, espèce d'enc**** ! »

Le jeune garçon, penché, fonça alors droit sur l'étudiant et l'envoya dans les poubelles.

« Merde ! J'ai plus envie de baiser ! Garde la, ta pute, si tu veux... »

Et l'aggresseur quitta les lieux, abandonnant Lucas et la poétesse. L'étudiant regarda cette dernière, et comme s'il n'avait rien eu...

« Ça va, tout va bien ? »