« Ooooh, comme elle est mignonne ! Elle a le même regard sévère que sa mère ! Une Desazars, c'en est sûr ! »
« Vous croyez ? Elle a les cheveux de son père, ce sera une de Mézerac, à n'en pas douter. »
« Mais non, une Desazars, vous dis-je ! Regardez comme elle se tient droit ! »
« Au diable votre sang Desazars ! Cette petite est belle comme un cœur ! C'est une de Mézerac, et nul ne dira le contraire ! »
Et pendant que les grands-parents se disputent l'appartenance de la jeune demoiselle, celle-ci regarde les tapisseries, les grandes armures. Ces gens semblent forts. Ces batailles semblent palpitantes... Une tante s'approche, semble avoir remarqué l'intérêt de la nouvelle princesse pour ces hommes en armure.
« Tu vois, ma chérie ? Ces gens en armure se battaient pour des princesses comme toi. Aujourd'hui, c'est moins voyant, mais ils se battent toujours. Et ce sera pour toi. »
Mais la petite ne veut pas qu'on se batte pour elle. La petite veut être un de ces hommes en armure...
***
« ...et lorsque le prince eut pourfendu l'infâme dragon, il alla réveiller la princesse d'un doux baiser, et elle tomba amoureuse de lui. Ils vécurent heureux et eurent plein d'enfants. Maintenant dodo, ma puce. »
« ... Maman ? »
« Oui mon cœur ? »
« Quand je serais grande, je serais un prince ! »
« Une princesse, tu veux dire ? »
« Non ! Un prince ! Une princesse c'est nul ! Ça attend toute seule dans son château que le prince arrive ! »
« .... On en reparlera demain. D'accord, chérie ? »
« D'accord ! Bonne nuit m'man ! »
***
« Un mariage entre nos deux maisons ne pourrait être que bénéfique pour nos deux lignées. Notre fille a le même âge que votre fils. Nous devrions les amener à se connaître, ne croyez vous pas ? »
***
« C'est toi Absalon-Balthazar ? »
« ... »
« C'est marrant, t'es tout rouge ! Maman m'a dit que je devait parler avec toi ! Je peux t'appeler Abi ? Moi c'est Émilie-Lucie ! »
« ...'chanté... »
C'est ainsi que se déroula la première discussion entre la chevalier et son princesse. Émilie-Lucie tournait avec curiosité autour du petit Absalon-Balthazar qui ne savait plus où se placer...
***
« Et si on jouait au prince et à la princesse ? »
« ... Oui... »
« On dirait que c'est moi le prince et... »
« Mais c'est moi le garçon, c'est moi le prince ! »
« Oui, mais moi je veux être le prince, et toi tu seras la princesse et c'est tout ! »
« Nan c'est moi le garçon c'est moi le prince, toi tu seras la princesse ! »
Les tons montèrent, les insultes volèrent. Et quand les poings entrèrent en jeu, la personne qui devait vaincre vainquit.
« Tu vois, c'est moi le prince, et toi la princesse. »
« Mais je suis le garçon... »
« C'est pas grave » murmura Émilie-Lucie en déposant un petit bisou sur la joue d'Abi qui devint rouge pivoine.
***
« Bon anniversaire, ma grande ! »
« OOOOOH ! Une épée en mousse ! Une vraie épée en mousse ! »
« Et oui, une épée pour mon petit prince. »
« Ouaaaaiiiis ! J'ai Excabilur ! Merci Maman chérie que j'aime de tout mon cœur ! »
« On dit "Excalibur", ma puce. Et de rien. »
Et c'est ainsi que débuta une collection d'Excaliburs. On n'a jamais assez d'armes pour protéger sa princesse.
***
« C'est bon, on a les cheveux comme il faut... »
« Vite, dépêche-toi ! »
« Hey, tu crois que c'est facile de mettre une robe ? Ah nan, mais tu en mets tous les jours, c'est vrai ! »
« Shhht ! Pas si fort ! Je suis comment ? »
« Sublime ! Dis, tu m'aides à fermer la robe ? »
« Tout ce que tu veux, "Princesse " ! »
« Très drôle, "Prince" ! »
Un pari stupide. Ce soir, chacun serait l'autre. Le premier à se faire attraper devra se teindre les cheveux dans la couleur du choix de l'autre. Abi avait choisi le vert. Émi avait choisi le bleu. Ça aurait pu être drôle, si la tante d'Émilie-Lucie n'avait pas flairé l'arnaque avant même qu'elle n'existe et n'avait pas interrompu les deux jeunes gens dans leurs préparatifs, non sans sermonner longuement sur l'identité et le sexe.
Le lendemain, Abi avait ses cheveux bleus, et Emi les avait verts.
***
D'autres événements ont pu se passer, d'autres encore attendent de se produire, mais l'amitié qui s'était muée en complicité se muera en amour véritable. Tout du moins, Émilie-Lucie Desazars de Mézerac est tombée amoureuse d'Absalon-Balthazar du Clos Demontval. Et elle compte bien le garder pour elle.