Une sonnerie familière et stridente força Klaus à sortir de son sommeil, l'amenant à ouvrir ses petits yeux, l'un après l'autre. En se tournant sur le flanc, son lit grinça sous ses 67 kilogrammes et ses draps lavés à l'adoucissant lui caressèrent agréablement sa peau beige rosée. Combien de fois s'était-il dit que s'il le pouvait, il y resterait hiberner toute sa vie ?

C'était vendredi matin, une journée avant le week-end et donc, un jour de travail. Quand bien même cela faisait plus de vingt-sept ans qu'il se levait à la même heure, il ne pouvait s'habituer à paraître présentable au réveil. De ce fait, pouvait-on être témoin de ses cheveux hirsutes défiant fièrement la gravité à sept heures du matin au moment où sa lourde tête daignait quitter l'oreiller et son chat également. Sa chevelure désordonnée, sensiblement bouclée aux pointes évoquait de folles herbes noires sur le haut de son crâne, grandissant son mètre 75 tandis que ses yeux s'évertuaient à laisser apparaître un peu de leur couleur ardoise. Pourquoi diable avait-on instauré un rythme de vie qui débutait de façon si matinale ? Klaus soupira silencieusement, s'activant tout de même pour sortir de son cocon blanc cassé et se diriger vers sa salle de bain luisante de propreté.

Son regard atypique se posa sur son reflet dans le miroir, lui renvoyant l'image d'un homme levé du mauvais pied, torse nu et le teint carotte à défaut d'avoir un éclairage blanc. Il s'inspecta attentivement le visage et s'assura de cette manière qu'aucune ride n'était apparue pendant la nuit. Fléau de l'humanité, vieillesse inexorable ! Venir au monde pour redevenir poussière... Fausse alerte, Klaus était identique à la veille. Rassuré qu'il n'avait changé que le sens de sa touffe de poils lui servant de cheveux, le brun commença à s'occuper de sa toilette quotidienne et porta un soin particulier à tailler sa barbe. Il n'avait aucune envie qu'elle semblasse négligée aux yeux de ses patients.

La suite des préparations se portèrent sur le domptage de ses cheveux à l'aide d'un peigne et d'une quantité astronomique de gel. Ce ne fut pas faute d'avoir tenté de faire de même pour lisser les poils de son torse avant de s'abandonner à une toute autre activité : la contemplation de son reflet. Pour être plus précis, il faisait notamment attention à ses bras sombres de tatouages. On pouvait y voir des fleurs écloses en fond, un cerf accompagné de diverses formes géométriques, une tête de mort empruntant le style vestimentaire d'un dandy, un phœnix s'enroulant autour de son bras à travers de nombreuses autres lignes et une santa muerte exsudant de sexualité et ne se gênant pas pour lancer un regard plein de sensualité.

Ce que préférait toutefois Klaus dans tout ce bazar dessiné était ces locutions latines tatouées sous ses bras. Ainsi, lisait-il à gauche : « Memento Mori » ; avant de poursuivre par « Carpe Diem » de l'autre côté. Les deux bras ainsi levés, le presque trentenaire s'évertua à admirer sa musculature développée grâce à ses séances de sport hebdomadaire. Chacun avait sa méthode pour se motiver, celle-ci était copyright Klaus. Encore heureux qu'il n'embrassait pas ses pectoraux chaque matin.

Son manège se poursuivit encore quelques minutes avant qu'il n'acceptasse de quitter son autre lui et d'aller enfiler son costume de travail entièrement noir. Il n'oublia pas de glisser sa montre à gousset dans sa poche de veste et d'accrocher à son oreille un simple anneau en métal inoxydable assorti à son ensemble, lui donnant l'air du brun ténébreux que l'on pouvait rencontrer dans ses rêves et moins dans la réalité.

Un petit-déjeuner rapidement avalé et servant la gamelle de Chanceux par la même aubaine, il jeta un dernier coup d’œil à son habillage et chaussa ses richelieus en conservant un petit sourire. Sa tenue sobre renforçait l'aura de contrôle et de patience qu'il laissait voir, tout en trahissant une part de bestialité dans sa posture dû à ses épaules relâchées et à sa tête légèrement penchée vers l'avant.

Klaus était fin prêt à se confronter aux problèmes d'autrui.

« Paris. Les trottoirs de Paris. Les passants de Paris. Le ciel même de Paris qui quelques instants plus tôt était encore d'un bleu céruléen. »

Klaus regarda autour de lui en marchant d'une allure mesurée et ajusta son col au détour d'un carrefour peu fréquenté. Il n'était pas le moindre du monde ennuyé par ce changement climatique et prit une petite inspiration de l'air pollué de la ville avant de s'engouffrer dans sa voiture personnelle. Elle était confortable, lisse, claire et surtout neuve. Il se laissa un instant aller contre son siège en appréciant cette sérénité momentanée. En déménageant dans les environs, le barbu dût accepter d'abandonner le calme de son ancien quartier riche. Malgré tout, il ne le regrettait aucunement.

Si sa famille était aisée, celui-ci rechignait à l'idée de profiter d'une fortune ridiculement importante et qu'il n'avait surtout pas mérité. De ce fait, quitter un endroit fait d'or et de marbre ne le gênait guère quand il savait qu'en contrepartie, il ne serait plus étiqueté de gosse de riche. Plus que n'importe qui, il était un humain comme les autres, peut-être juste un peu plus chanceux et narcissique sur les bords ; mais aussi, ouvert aux autres, empathique et curieux.

Klaus l'était particulièrement à propos d'un phénomène relativement peu mentionné car non désignée comme psychopathologie. En vérité, il éprouvait de l'attirance spirituelle pour ce sujet touchant au monde onirique. Il doutait fortement que de tels rêves pouvaient être considérés comme une forte frustration que ces personnes ne parvenaient pas à se débarrasser. Il pensait différemment et croyait sans doute en avoir déjà été victime une fois, il y a si longtemps que le souvenir s'était estompé pour ne devenir qu'une incertitude, une illusion, une fabulation du cerveau que le psychologue n'arrivait pas à se défaire.

Sa main tâta machinalement les boutons de la radio et fit doucement élever de la musique classique dans l’habitacle. Son trajet lui prenait en général une demie-heure tous les jours, seulement pour l'aller. Cela évidemment n'étant valable qu'en de rares jours où l'agglomération n'était pas embouteillée. Le brun commençait néanmoins lentement à s'acclimater à ce genre de soucis.

À cause de cette pseudo-obsession, Klaus se voyait devenir légèrement superstitieux. Son chat noir de trois ans l'aidant à se débarrasser de cette attitude qui en devenait parfois même ridicule. Imaginez-vous un psychologue se retenir de temps à autre de jeter du sel par-dessus son épaule le soir pour éloigner les mauvais esprits ou de garder la patte d'un lapin blanc sous la main pour attirer la chance. N'était-ce pas saugrenu ?

Klaus bailla en silence et passa distraitement une main dans sa chevelure semi-coiffée. Il profita des bouchons pour se toucher la barbe en programmant son week-end pour occuper son esprit. Comme tous les samedis, il irait à la salle de sport pendant deux heures, goûtant au bonheur de se dépenser tout en régalant ses yeux de courbes intéressantes. Puis, il irait déjeuner, profiter de la journée pour sortir au bar avant de se préparer pour son repas de famille le lendemain en espérant que son frère souhaitasse bien le traiter avec égard.

Avant cela, il veillerait ce soir pour récupérer de son retard dans ses lectures. Si être taciturne avait quelques inconvénients lorsque l'on travaillait tôt le matin, le psychothérapeute était persuadé que cela ne représentait rien face aux connaissances que cela lui apportait en retour. Il avait cette sensation de mieux apprivoiser le monde en lisant ses ouvrages de neurologie, de psychanalyse et d'hypnose.

Tiens, en parlant d'hypnose, il pouvait en outre apercevoir à présent son cabinet au bout de la rue.