Elle était sur un dossier totalement barge.

Ouais, c'était le mot. Une histoire de politiciens. La première fois qu'un mec aussi important lui confiait une mission. Pas très clean, le gars. Très louche, même. Mais comme d'habitude, elle voit l'argent, elle ne pose plus de questions. Au début, tout allait bien, jusqu'à ce que l'avocat roux, fier défenseur de la veuve et de l'orphelin, s'en mêle. Maintenant, elle était obligée de l'avoir constamment sur le dos et ça la soûlait. Beaucoup. Malheureusement, elle n'avait pas le choix si elle voulait voir un jour la couleur d'autres jolis billets. Prendre sur elle, voilà une bonne résolution. Mais elle ne marchait pas vraiment comme ça.

Assise sur un fauteuil tellement décrépi qu'on aurait dit qu'il s'écroulerait sous le poids de la femme à tout moment, Anastasiya réfléchit, une cigarette aux lèvres, admirant son travail. Aucun vêtement ne l'habille, c'est tellement inconfortable. Un tableau en liège couvert de photos diverses et variées est accroché au mur. Des pièces, des personnes, un truc qui ressemble vaguement à une scène de crime. Des photos qu'elle ne devrait pas avoir en sa possession, mais le boulot est le boulot. Elle esquisse un petit sourire, visiblement satisfaite. Tout ce bon travail mérite bien l'ouverture d'une nouvelle bouteille. Elle écrase le mégot dans un cendrier plein à craquer et fouille dans les placards de la cuisine. Elle n'arrive pas à ouvrir la bouteille de whisky bon marché. C'est problématique. Elle prend un couteau de cuisine, commence à s'acharner sur le haut de la "putain de bouteille", se coupe avec le verre cassé. Le sang commence à couler de façon plutôt inquiétante de sa paume de main. Ça fait mal, mais ça passera. Au moins, elle a accès à la précieuse boisson. Elle en boit, c'est répugnant mais ça réchauffe. Elle en ingurgite deux, trois, quatre verres. Pas trop quand même, pour garder la tête froide. Mais assez pour avoir l'impression de planer. Elle pense à tous ces bourges, avec leur vie bien rangée qui habitent dans l'immeuble en face du sien, et ça la fait presque rire.

De retour dans le salon, avec une main ensanglantée, elle reprend une cigarette et se résous à ouvrir une fenêtre. L'atmosphère est totalement étouffante, trop pour une personne normale, mais c'est bien loin de ses préoccupations. Pas comme si elle recevait des invités à dîner tous les soirs. Il faudrait déjà qu'elle ait des amis. Elle imagine la tête du rouquin s'il ne posait ne serait-ce qu'un pied chez elle. Ce serait marrant, c'est sûr. Plus de temps pour les plaisanteries, il faut qu'elle se remette à bosser. C'est-à-dire trier des photos. C'est l'aspect agaçant du métier, sûrement. Elle se rassied sur le fauteuil tremblant, entend frapper. Elle ignore quel genre de personne aurait envie de s'aventurer dans ce trou. Enfin si, elle a sa petite idée. Une cigarette dans la main, elle se lève, irritée, et ouvre la porte d'un geste brutal.

« Putain, Hayden, t'as pas vu le petit écriteau? "Ne pas déranger, cerveau qui fonctionne", ça te dit quelque chose, gamin? »

Le sens de l'accueil n'avait jamais été son fort. La bienséance non plus, étant donné sa tenue. Ou plutôt son absence de tenue.

« Tu comptes rester planté là longtemps? Casse-toi. Ou entre. À tes risques et périls. »

Elle ne sous-entend rien de particulier. Si ce n'est peut-être les poumons de fumeur qu'il risquait d'avoir en sortant, ou même les envies de meurtre de mademoiselle Valentinov s'il osait faire quoi que ce soit qui puisse lui déplaire. Quelle idée de venir lui rendre une petite visite, en même temps.

« Te gêne pas, surtout. »

Ce gosse squatte chez elle et lui vole ses clopes. C'est largement suffisant pour ressentir une envie soudaine de le jeter par la fenêtre. Non, Ana, on ne doit pas vouloir la mort des gens, ce n'est pas sain. C'est le psy qui le dit.

« Fais pas chier. »

L'art et la manière de converser, par Anastasiya. Elle regarde l'adolescent prendre ses marques, traîner les pieds sur son sol, faire comme s'il était chez lui. Légèrement envahissant. Quand son regard se pose sur le tableau recouvert de photographies, elle réalise un truc. Elle pense qu'elle aurait dû le cacher avant d'ouvrir la porte. Avant que ce maudit cafard s'invite chez elle. La confidentialité est le maître mot de son métier. Et ce n'est pas dans ses habitudes de faillir à ses principes, aussi rares soient-ils. La détective décroche le tableau et le jette dans un carton de photos.

« Jamais je ferai d'affaires avec un mec comme toi. Tu me prends vraiment pour une conne? »

La jeune femme voit Hayden sur le rebord de la fenêtre et se surprend à imaginer ce qui arriverait si elle exerçait une simple pression dans le dos du jeune homme. Elle secoue la tête dans une tentative d'évacuation de ces pensées morbides. Elle n'avait pas d'amis pour l'aider à se débarrasser du corps. Trop risqué, ouais. Quoique la prison lui reviendrait sûrement moins cher que la fortune qu'on lui arrachait tous les mois pour qu'elle puisse vivre dans cette bicoque.

« Ouais, c'est ça. Tu veux le numéro de téléphone du président, aussi? »

Ana essaie de rire, mais se retrouve à la place avec une jolie quinte de toux. Elle se sent faiblir et s'appuie sur le fauteuil. Elle tousse à en cracher ses poumons pendant quelques bonnes minutes, puis se ressaisit et titube jusqu'à sa "chambre".

« Si je te surprends à fouiner, je te jure que tu vas passer un très mauvais moment. »

La menace est assez claire pour la tignasse décolorée, du moins elle l'espère. Elle ne pouvait jamais prévoir les réactions du gringalet, et ça l'exaspère au plus haut point. Dans un élan de pudeur soudaine, elle ferme la porte et enfile ce qui traîne par terre. Elle ne trouve qu'une chemise froissée et une petite culotte. Elle imagine que ça fera l'affaire. Elle revient dans ce qui fait office de salon et allume une autre cigarette. Ce truc est en train de la tuer, mais elle n'arrive pas à s'en passer. Ce truc à la con la fait se sentir faible, et elle déteste ça.

« Tu saurais pas ce que les gens normaux font quand ils reçoivent un ami? J'avoue que je suis pas très calée sur le sujet. »

Elle a l'impression d'essayer de se faire pardonner de son inconstance. Dans un certain sens, c'est le cas. Personne n'est là pour le voir, mais Ana fait des efforts. Et puis ce gamin est son seul ami. Ça ferait plaisir à monsieur le psy de la savoir capable d'établir des liens amicaux.