« Le poète jouit de cet incomparable privilège, qu'il peut à sa guise être lui-même et autrui. » ▬ C. Baudelaire
Tu m’a trahis. Pourquoi était il revenu ici ? C’est un anniversaire. Un frisson le parcourt. Ce pont. C’était son pont. Le pont du suicide. Le suicide de sa vie, le suicide de son amour. Personne n’était tombé de ses hauteurs et pourtant, Scarlett avait l’impression que le monstre de béton pleurait la perte de la jeune femme. L’amour de l’écrivain. Non elle n’avait pas chutée mais sa vie s’était finie sur la chute de son corps sur le béton sombre, dans les couleurs de la nuit. Le pont la couvrait de son ombre intense comme s’il voulait la cacher de l’horreur. Comme s’il voulait la protéger du journaliste. Ils n’étaient pas de bons amis. Monstre d’horreur et monstre de béton. Chacun d’eux acteurs de la scène qui s’était joué ici il y a un an. L’un triste acteur principal, l’autre secondaire mais support de la pièce et protecteur de l’actrice.
La scène était connue. Il n’avait eu aucune difficulté à revenir tout en se perdant dans les dédales de Paris. Faut dire qu’il commençait à la connaître sa ville. Sa grande taille ? Il s’en moque. Son esprit a finit par mémoriser toutes les rues, toutes les maisons et quel personnage y dépose ses chaussettes. Alors il était venu aujourd’hui. Toujours aussi ponctuel. Il attendit les quelques retardataires et ouvrit sa large bouche et fit monter le rideau. Pardonne-moi La Fontaine, je me permets d’adapter son écrit à mon histoire. L’aveugle se permet tout. Il prend des risques. Il se fait odieux. Et pourtant. Parfois il est de ces moments où il est lui. Des moments où il ne veut faire de mal à personne. Des moments qu’il ne souhaite que personne ne voit. Oh oui, un pont n’est pas des plus discret… mais passera t-il sa vie à se cacher ? Non. L’homme aux cheveux roses avait le droit à ses instants de vie. L’écrivain avait le droit d’être comme cet homme qui brayait sa discussion téléphonique en gommant tous ceux qui passaient à ses côtés. Il y a ceux qui se permettent. Scarlett est de ceux qui profitent. Ils attendent le moment opportun et saute sur l’occasion. Quand les humains ne sont plus là, c’est à un seul individu de briller. En l’occurrence ici, c’était le sien. Top chrono ?
Ce pont c’était son malheur. C’est ici qu’il avait sut. Enfin que monsieur Gauthier a cru savoir. Mais dans le fond, il ne sait toujours pas. L’aveugle n’est pas sûr du moins. Depuis le drame, le voilà hanté de doutes. Que de sentiments sombres que celui de la découverte et celui de la peur. Anxieux des regrets car le journaliste sait à quel point ils peuvent faire souffrir un homme. Un Homme.
Souffrir. Doute. Noir. Horreur. Tristesse. Spleen. Baudelaire. Cet écrivain de talent qui sait rendre sa beauté à tout ce que l’on redoute. Ce poète qui arbore avec fierté cette couleur qui n’en est pas une. Le noir. Scarlett a son tour s’habille de ténèbres et se fait acteur d’une nouvelle pièce. On fête la mort de sa bien aimée. On fête le crime du riche parisien. On fête la perte d’une femme et le désespoir d’un homme. L’acteur décide de jouer, de danser cette tristesse. Quoi de mieux que la danse macabre du poète ? L’illustration parfaite d’une fête presque ironique…
| « Fière, autant qu'un vivant, de sa noble stature Avec son gros bouquet, son mouchoir et ses gants » |
Oh oui la mort n’a rien de moche pour notre jeune ami. Elle est gracieuse, fière et maligne. Peut-être espère t-il aussi qu’elle daignera lui offrir quelque chose ? Un cadeau. Un présent. Un futur ? L’espoir fait vivre après tout… Mais ne te pers pas mon bon ami. La mort est un labyrinthe sombre sans fin.
| « Elle a la nonchalance et la désinvolture D'une coquette maigre aux airs extravagants » |
Parle t-il de la faucheuse ? Je n’en suis plus aussi sûre. Pardonnez la perte de maitrise que j’ai sur mon personnage. Je le suis et pourtant. Il arrive encore à me perdre à son tour. Lui aussi est un étrange labyrinthe. Mon impression accélère finalement tout droit vers une autre femme. Celle-ci arbore des couleurs sur son enveloppe charnelle mais l’aveugle lui ajoute l’étrange aura sombre. Comme actrice de la pièce créé par son amant, elle joue un double jeu. Mais ne lui donne t-il pas un jeu parfait ? Scarlett l’aime autant qu’il la déteste. Est-il finalement en admiration de son caractère changeant ? De l’invasion du Ying dans le Yang ou inversement, sans aucun doute. Femmes, hommes, être humain. Au fond, chaque caractère difficile est un jeu pour l’écrivain. Sans aller sur sa tombe, il dépose les fleurs de l’admiration auprès de la jeune femme.
Soudain l’homme qui arbore un bol capillaire rose monte ses deux bras vers le ciel. Il continue son étrange manège en baissant son corps, comme lors d’une courbette, et étalant ses bras sur les côtés. Il salue son public avant de commencer sa danse.
| « Vit-on jamais au bal une taille plus mince ? » |
Il exagère son allure déjà élancée en se hissant sur des pointes tel une danseuse classique. Tout comme l’illustre Baudelaire dans ses vers, le journaliste à scandales ferme les yeux et s’imagine au cœur d’un bal de la Renaissance. Les meilleurs d’après le connaisseur en Histoire.
| « Sa robe exagérée, en sa royale ampleur, S'écroule abondamment sur un pied sec que pince Un soulier pomponné, joli comme une fleur » |
N’avons –nous pas à nouveau changé de destinataire de ses paroles ? Comme s’il dansait sur Grease, l’Homme parcourait le pont à pas rythmé. Je sais. L’écrivaine. C’était pour cette femme tout aussi étonnante qu’il déferlait ces vers étonnement poétique. Serait-il plus fleur bleu qu’il le pense lui-même ? Sans aucun doute. Il continue silencieusement le poème, s’emprisonnant lui-même dans son esprit. La pièce avance seule sur l’immense scène de pierres et de béton.
Mais Scarlett sait mieux que personne que l’a vie n’est pas une suite de fleurs et de beauté sans fins. Et tout comme le veux un poème de l’écrivain à l’humeur changeante, l’écrivain fait couler des vers plus sombres que les précédents. Et comme tout bon acteur, il joue en harmonie avec les mots qu’il libère. Son visage se fait étonnamment sombre. J’en ai des frissons. Il s’arrête là où n’importe qui aurait pu en finir avec sa vie sur Terre. Au cœur du pont. Les mains posées sur le rebord, le regard plongé dans l’intensité de l’eau.
| « Ses yeux profonds sont faits de vide et de ténèbres, Et son crâne, de fleurs artistement coiffé, Oscille mollement sur ses frêles vertèbres. Ô charme d'un néant follement attifé. » |
Sans doute est-il lui aussi admiratif de la beauté de ce qui ne l’est pas pour le commun des mortels. Oh oui les ténèbres sont bien plus intéressantes qu’une journée ensoleillée au cœur de l’été. Oh oui le noir est plus harmonieux qu’un blanc agressif. Que sont les fleurs si le porteur est un squelette ? Rien de plus qu’une parfaite illustration pleine de sens. La femme peut porter des fleurs. Ce n’est que banalité. Satan peut porter des fleurs. Tout est originalité et magie. Rêve et cauchemar, mes amis.
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