Sinniel Kaouenn

Et les arabesques qui caressent tes soupirs, en fragments de noirceur, sur tes lèvres, viennent mourir

Physique

In the valley of the dolls we sleep...

Ces paroles de chanson résonnaient dans le calme factice de la chambre, sortant des écouteurs qui avaient glissé des oreilles de la jeune femme brune pelotonnée sous sa couette. Ses cheveux coupés courts s'éparpillaient sur l'oreiller pastel, algues sombres entourant un visage dont les paupières closes ne semblaient pas prête de s'ouvrir. Traits apaisés par le sommeil, lèvres fines fermées dans une moue neutre, Sinniel dormait paisiblement, serrant son cocon de toile et de coton de ses doigts fins aux ongles assez courts, aux nuances de rose et de mauve, cachant son corps plus rond que la moyenne, lui créant une silhouette aux formes quelque peu prononcées.

Un soupir s'échappa de ses lèvres. Ses yeux papillonnent, laissant voir entre deux battements de cils des iris à la couleur indéfinissable, savant mélange entre le bleu, le gris, le vert et le blanc. Elle-même ne savait guère comment les décrire, les pigments de ses yeux changeant chaque jour, presque chaque minute, tant ils étaient influencés par le temps extérieur.

Attrapant son mp3, qu'elle avait lâché dans son sommeil, la jeune femme l'éteignit, le posant avec les écouteurs sur son bureau, la lampe de chevet de sa table de nuit éclairant alors sa peau.
Il n'était guère difficile de voir ses veines dans le creux de ses poignets tant sa peau était fine et pâle, la faisant paraître presque maladive lorsqu'elle sortait dehors. Seules les rougeurs qui coloraient ses joues, que ce soit sous une quelconque émotion ou sous une marche rapide, témoignait d'une certaine forme de santé.

D'un air absent, la bretonne se coula de nouveau sous la couette, éteignant la lumière, restant quelques secondes allongée sur le lit, à regarder le plafond, attendant le passage de Morphée. Elle ferma les yeux, enfin, sombrant de nouveau dans le sommeil, sûre d'aller en cours le lendemain dans les vêtements simples -jean, T-Shirt, veste et converses- qui l'attendaient patiemment sur sa chaise. Peut être même qu'elle mettrait sa bague en argent, seul accessoire qu'elle n'oubliait presque jamais. Ses traits se détendirent lentement, puis elle sombra en silence dans le monde des rêves.

Caractère

Got a hole inside of me, living with identities that do not belong to me

Écouteurs vissés sur ses oreilles, la voix de la chanteuse semblait voir au-delà de ce qu'elle présentait, au delà de cette apparente tranquillité qui semblait conditionner tout ses gestes, toutes ses paroles.

La jeune femme ne savait pas vraiment ce qu'elle voulait être, ni ce qu'elle était en réalité, se retranchant derrière un silence et une timidité qui parfois étaient bien pratique pour éviter les ennuis. Elle savait qu'elle ne faisait que retarder l'échéance, que ce n'était qu'une question de temps avant que son masque ne tombe, dévoilant le vide qui lui rongeait l'âme et le cœur. Elle le savait, mais elle tentait, désespérément, de retarder l'échéance. Paralysée par la peur et l'angoisse, elle avait choisi, de toutes les solutions, celle qui lui paraissait la plus simple. Celle de la fuite. Une fuite éperdue qui ne mènerait à rien mais qui lui donnait l'illusion d'un rempart, d'une protection.

Elle avait honte de cela. Honte de fuir, de ne pas se confronter au problème. Ne faisant que l'enraciner un peu plus en elle. Plus d'une fois elle avait cru pouvoir se défaire de tout cela, mais la peur de l'échec et du regard des autres l'avaient fait se rétracter derrière sa douceur et sa gentillesse. Que les autres passent avant elle, qu'elle s'oublie pour eux... C'était un état de fait qu'elle avait assimilée et dont elle peinait à sortir, se rendant malade pour un rien, pour des tensions qu'elle n'arrivait pas à gérer et qu'elle ne faisait que fuir, encore et toujours.

Assez peu sociable à cause de sa maladresse et de sa timidité, Sinniel sait tout de même qu'elle peut compter sur les rares amis qu'elle possède et à qui elle s'est ouverte lentement, dévoilant une personnalité plus rêveuse, plus colorée également, ainsi qu'une imagination sans borne, foisonnante, nourrie de ses lectures et des mythes dont elle s'abreuve avec le regard émerveillé d'une gosse de six ans.

Le moindre compliment la fait rougir, la moindre engueulade la fait blêmir. Expressive malgré elle, sans doute trop sensible, il lui est parfois très difficile de prendre du recul, et réagit en conséquence, que ce soit en fondant en larme ou en explosant de colère. Même ses peurs et ses angoisses semblent porter le sceau de cette exagération involontaire, la faisant hurler devant une araignée et pleurer de terreur devant un chien trop agressif. Seule la musique, qu'elle adore, et le chant, qu'elle pratique, semblent pouvoir la calmer et l'aider à s'extraire de ce trop plein émotif qui la submerge.

Histoire

In my life I gone this far, now I'm ready for the last hoorah

La pluie tombant dans les rues lui fit légèrement relever la tête. Elle sentit l'eau tomber sur sa peau, y glisser avant de se perdre dans son cou. Un sourire traversa ses lèvres alors qu'elle remit sa capuche en place, reprenant tranquillement sa marche, portée par la musique, se laissant tremper par l'eau du ciel.

Née en Bretagne, elle n'avait pas de mal à sortir sous un temps pareil, râlant pour la forme alors que ses pas la conduisait dans les rues grises et polluées de la capitale. Son regard se posa sur une petite famille à la sortie de l'école primaire devant laquelle elle passait tout le temps. Un pincement lui saisit le coeur alors qu'elle continua sa route.
Sa famille lui manquait. Première née d'une famille de 4, elle avait rapidement tenu le rôle de la grande soeur protectrice, veillant sur ses frères et sa soeur dès son plus jeune âge. Elle adorait ses parents, et ces derniers les aimaient beaucoup, mais comme partout ailleurs, les engueulades et les disputes éclataient, à une fréquence plus ou moins régulière, mais se résolvaient toujours assez bien. Ils tenaient tous les uns aux autres, formant une famille lambda de classe moyenne, ne manquant de rien, ayant une vie assez tranquille, si ce n'étaient les quelques frayeurs causées par des accidents de la route bénins.

Sinniel voyait toujours le cocon familial comme un refuge face à la société, et ce depuis son entrée en primaire. Elle était trop différente, trop à part, trop timide et trop sage pour pouvoir se lier aux enfants de son âge. S'en suivit une longue, trop longue période de harcèlement scolaire qui la poursuivie jusqu'au lycée, laissant dans son comportement des marques indélébiles. Elle s'était renfermée sur elle-même, jouait un rôle qui n'était pas le sien, se construisant malhabilement une carapace d'indifférence qui ne manquait jamais de céder, la faisant s'effondrer en larme dans sa chambre. Et lorsqu'elle osa enfin en parler à sa famille, lorsque sa mère la poussa un peu, le mal était déjà fait.

Ses années de lycée se passèrent plus calmement, la laissant enfin respirer, mais n'enlevant en rien sa solitude en classe. Elle se fit pourtant des amis, se liant à eux avant de les laisser partir, ne restant en contact qu'avec quelques uns.
Ses études la menèrent à la fac à Paris où elle essaya de s'intégrer, rencontrant plus ou moins de succès, se liant à deux trois personnes et découvrant alors, dans le même temps, sa sexualité, après quelques essais infructueux.

Ses pas s'arrêtèrent devant l'entrée de la faculté de lettres. D'un sourire, elle salua les personnes qu'elle connaissait, allant vers eux et commençant à discuter. La vie semblait avoir déjà tracée sa voie, la laissant sur un chemin tout trouvé...

Mais depuis le temps, tout le monde sait que jamais rien n'est donné. 

crackle bones